Communication en face à face et virtuelle

En 2004, Hoffman, Novak et Venkatesh prédirent que l’utilisation d’Internet serait indispensable pour la plupart des personnes. D’ailleurs, près de 361 millions de personnes utilisaient Internet en 2000 comparativement à plus de trois milliards en 2015 (Internet World Stats, 2015). À cet effet, la majorité des familles possèdent au moins un ordinateur à la maison, et l’accès à Internet dans les foyers des États-Unis est passé de 1 sur 10 en 1995 à environ 8 sur 10 en 20 Il (Zickuhr & Smith, 2012). Enfin, il ne faudrait pas négliger l’utilisation d’Internet via les téléphones intelligents qui sont de plus en plus populaires. En 2014, plus de 64 % des Américains en poss~daient un (Pew Research Center, 2014). En 2010, on a estimé qu’en moyenne 200000 SMS (short message service) étaient envoyés à chaque seconde dans le monde (International Communication Union, 2010). Internet est sans contredit une révolution. Il constitue une nouvelle façon d’entrer en relation et d’accomplir des tâches plus rapidement (Appleby, 2010; Bargh & McKenna, 2004). Plus encore, par  la distance géographique qui sépare les personnes, Internet offre la possibilité de préserver des liens (Bacigalupe & Lambe, 20 Il), de faire des rencontres amoureuses (McKenna, Green, & Gleason, 2002), d’alimenter ses fantasmes via le cybersexe (Cooper, McLoughlin, & Campbell, 2000; Manning, 2006), d’apprendre sur la sexualité (Burns, 2001) et même de satisfaire ses besoins affectifs sexuels (McKenna, Green, & Smith, 2001; Shaughnessy, Byers, & Thornton, 2011). Est aussi apparu le « sexting », phénomène relativement nouveau découlant de l’utilisation des nouveaux médias électroniques et qui consiste en l’envoi et en la réception de photos sexuellement explicites et/ou de messages textes à caractère sexuel utilisant un téléphone portable avec appareil photo numérique intégré (Wysocki & Childers, 2011). ·Par leur caractère accessible, abordable et anonyme (Cooper, 1998), les technologies numériques peuvent favoriser l’apparition de la cyber infidélité (Hertlein, 2012), le cybersexe seul ou avec une autre personne par clavardage en ligne ou webcam (Shaughnessy et al., 2011), la surveillance des sites que son partenaire consulte (Darvell, Walsh, & White, 2011; Fox & Warber, 2014) et des réactions émotives comme la jalousie (Muise, Christofides, & Desmarais, 2009). Ainsi, l’utilisation que les individus font d’Internet peut rapidement devenir une source de tension au sein de la dynamique conjugale et même mener au divorce (Hertlein, 2012; Whitty, 2003). Cet engouement pour ces sites, qu’ils soient à contenu sexuel ou non, amène les chercheurs et les cliniciens à s’y int~resser et à documenter les impacts que ces derniers peuvent exercer sur la satisfaction conjugale, ainsi qu’à conscientiser les couples quant à leurs effets délétères sur la stabilité de la relation.

Afin de bien comprendre la nature des variables étudiées, la présente thèse présente une introduction générale qui sera suivie de trois articles scientifiques. Les deux premiers concernent les sites de socialisation virtuelle et le troisième, les sites Internet pour adultes. Dans un premier temps, il convient de procéder à un relevé de la documentation pertinente. Il sera donc question de distinguer les processus cornrnunicationnels des relations en face à face et des relations virtuelles pour ensuite présenter les modèles théoriques expliquant les déterminants et les conséquences de l’utilisation des technologies numériques sur le couple. Le modèle de personnalité en cinq facteurs de Costa et McCrae (1992) et celui sur les représentations d’attachement (Hazan & Shaver, 1987; Mikulincer & Shaver, 2007) serviront d’appui pour expliquer les différents comportements sur Internet. Ensuite sera présenté le portrait des utilisateurs des sites de socialisation virtuelle et des sites pornographiques ainsi que les comportements de cyber infidélité associés à l’utilisation de ces sites. À la fin du présent chapitre, les objectifs de la thèse seront exposés .

Communication en face à face et virtuelle 

La communication par ordinateur est un phénomène complexe. D’ailleurs, nombreux sont les modèles qui tentent d’expliquer ce type de communication (Lea & Spears, 1992; Walther, 1996). TI demeure important de distinguer les processus communicationnels qui se dégagent des relations en face à face et des relations virtuelles pour comprendre comment Internet s’est immiscé dans la vie des individus et l’impact qu’il a engendré sur la qualité des échanges. Cette distinction permettra de poser un regard critique sur l’ensemble des relations que les personnes entretiennent via Internet. La communication interpersonnelle en face à face fait partie intégrante du développement de tous les êtres humains (Stem, 1998). Cette relation de communication prend naissance dès la petite enfance par le biais du toucher et de la voix, permettant ainsi la création de liens affectifs (Bowlby, 1969). La communication interpersonnelle en face à face prend en considération le caractère abstrait des échanges vécus entre deux personnes comme le non verbal, permettant d’obtenir une richesse d’informations sur l’autre, bien que parfois ces dernières puissent porter à confusion (p. ex., le ton utilisé qui ne correspond pas au langage non verbal; Moore, 2010). Enfin, la relation en face à face implique l’immédiateté, l’intimité et l’implication entre deux personnes. li est ici question d’un processus d’ouverture à l’autre, de ce qui se passe dans la relation, nécessitant une présence et un engagement (Altman & Taylor, 1973). Enfin, Coyne, Stockdale, Busby, Iverson et Grant (2011) montrent que les couples qui sont satisfaits trouvent important de communiquer en face à face, mais utilisent la messagerie texte pour s’envoyer des messages d’affection. Par contre, pour certains individus, l’anxiété générée par le dévoilement de soi les amène à éviter toute forme d’intimité (Descutner & Thelen, 1991) .

Quant au média technologique, il offre la possibilité aux individus de communiquer en tout temps, et ce, à travers le monde. Par exemple, il permet d’échanger avec des personnes avec qui une relation en face à face serait impossible. À cet effet, Walther, Anderson et Park (1994) ont réalisé une méta-analyse dans laquelle ils expliquent que la communication par ordinateur rendrait tout à fait possible la transmission d’informations socioémotionnelles permettant l’ étab lissement d’une relation intime. Sil’ interaction n’est pas limitée dans le temps, la proportion de cette information augmente. Plus encore, Parks et Roberts (1998) soulignent qu’Internet permet la création de relations « hyperpersonnelles » entre les individus étant donné le sentiment de sécurité que produit l’anonymat. De plus, le caractère « hyperpersonnel» est vécu comme un plus grand sentiment d’intimité et peut s’apparenter aux relations vécues en face à face (Waskul, 2003). Bien que la communication par ordinateur ait permis à plusieurs individus de pallier la solitude, la gêne, le manque d’habiletés sociales et de rechercher des échanges sexuels plutôt qu’émotionnels (Donn & Sherman, 2002), il n’en demeure pas moins que l’intimité vécue sur Internet peut s’avérer être une illusion selon ce que l’individu choisit de bien vouloir partager à l’autre (Schnarch, 1997). Coyne et al. (20 Il) expliquent que les couples utiliseraient justement Internet pour aborder des sujets qui les confrontent. Internet ne faciliterait donc pas le processus d’intimité puisque l’individu est déjà aux prises avec sa propre vulnérabilité (faible estime de soi, peur de l’engagement, évitement de l’intimité). La relation vécue par Internet devient seulement une façon d’apaiser et de pallier cette vulnérabilité (Schnarch, 1997). Schnarch (1997) résume bien cette dernière: Ne pas voir son partenaire en face à face est une bonne préparation à ne pas le voir pendant l’acte· sexuel puisque la plupart des individus ont des relations sexuelles les yeux fermés. Il n’est donc pas difficile de comprendre la popularité des relations sur Internet. (p. 18)  .

Enfin, l’accessibilité grandissante des médias Internet et l’anonymat qu’ils procurent semblent paver la voie à l’utilisation de la pornographie (Buzzell, 2005) et rendraient plus accessibles certains comportements tels que le cybersexe (Shaughnessy et al., 2011) ou la cyber infidélité (Hertlein & Piercy, 2012). Les chercheurs définissent le cybersexe comme étant une activité sexuelle solitaire (masturbation en visualisant de la pornographie) sur Internet dans le but d’être excité. Le cyhersexe peut aussi être le résultat d’une interaction sur Internet de nature sexuelle entre deux personnes, soit par webcarn ou par l’entremise de discussions privées sur Internet (Cooper & Griffin-Shelley, 2002; Daneback, Trreen, & Mansson, 2009; Dôring, 2009; Shaughnessy et al., 2011). Quant à la cyber infidélité, elle se définit, entre autres, par une expérience émotionnelle ou sexuelle vécue via Internet alors que la personne est déjà impliquée dans une relation intime. De plus, l’arrivée des sites de socialisation virtuelle comme Facebook a amené une façon d’interagir les uns avec les autres qui peut mener à des comportements de cyber infidélité (Cravens, Leckie, & Whiting, 2013) et influencer la dynamique conjugale (Rand, Thomas, Buboltz, Deemer, & Buyanjargal, 2013). Bien que l’ensemble de ces médias permettent  d’échanger des informations et de faciliter les relations interpersonnelles ou sexuelles, il n’en demeure pas moins que les caractéristiques liées à la communication interpersonnelle (le toucher, la proximité, le non verbal, l’expression des émotions), telles que définies par Palmer (1995), évoluent simultanément dans un environnement en face à face et non sur Internet.

La réalité est pourtant tout autre, jouant même en faveur d’une prolifération de la communication virtuelle puisqu’il existe à ce jour 1,5 milliard d’usagers (Statista, 2015) sur le site de socialisation virtuelle Facebook et 4,2 millions de sites Internet pour adultes (Internet Review Filter, 2013) permettant aux individus d’échanger émotionnellement ou sexuellement. Cette révolution technologique a probablement entrainé dans son sillage un processus de transformation sociale des valeurs, des attitudes et des comportements interpersonnels qui vont au-delà des relations virtuelles et qui se répercute sur les relations actuelles, y compris les relations conjugales. Dans le but de comprendre le rôle que peuvent exercer les technologies numériques dans la régulation du fonctionnement conjugal, la présente thèse s’attardera à l’examen de deux facteurs de vulnérabilité (la personnalité et l’attachement) des internautes. L’originalité de la présente thèse repose essentiellement sur l’examen du rôle médiateur potentiel que les nouvelles technologies (sites de socialisation virtuelle et pornographiques) et les comportements de cyber infidélité jouent dans la relation entre, d’une part, les dimensions de la personnalité et les représentations de l’attachement et, d’autre part, la qualité des relations de couple.

Table des matières

Introduction
Communication en face à face et virtuelle
Modèles théoriques généraux
Modèles théoriques de la présente thèse
Modèle de la personnalité en cinq facteurs
Théorie de l’attachement.
Sites de socialisation virtuelle
Pornographie
Cyber infidélité
Objectifs de la thèse
Article 1. Les caractéristiques des utilisateurs de sites de socialisation virtuelle:
personnalité, attachement et fonctionnement conjugal
Résumé
Abstract
Utilisateurs des sites de socialisation virtuelle
Sites de socialisation virtuelle et personnalité
Sites de socialisation virtuelle et attachement
Sites de socialisation virtuelle, cyber infidélité et fonctionnement conjugaL
Objectifs
Méthode
Participants
Déroulement
Instruments
Habitudes liées à Internet et utilisation de sites de socialisation virtuelle
par le répondant
Utilisation de sites de socialisation virtuelle par le partenaire
Infidéli té
Personnalité
Attachement
Ajustement dyadique
Satisfaction sexuelle
Résultats
Analyses descriptives des utilisateurs de sites de socialisation virtuelle
Personnalité et Facebook
Attachement et Facebook
Fonctionnement conjugal et Facebook
Modèles prédisant l’ajustement conjugal et la satisfaction sexuelle
Discussion
Implications cliniques
Références
Article 2. Personality, attachment, and couple satisfaction: The mediating role of
cyber infidelity and problems resulting from the use of social networking sites
Abstract
Problems and reactions resulting from the use of social networking sites
Objectives
Participants
Procedure
Instruments
Problems resulting from respondent’s Facebook use
Respondent’s reactions to their partner’s Facebook use
Cyber infidelity
Personality
Attachment
Couple satisfaction
Results
Path analysis
Discussion
Limitations
Clinical implications
References
Article 3. Le rôle de la consultation de sites Internet pour adultes et de la cyber
infidélité dans la relation entre la personnalité, l’attachement et la satisfaction
conjugale et sexuelle
Résumé
Prévalence et corrélats relationnels de la consommation de pornographie
Pornographie
Pornographie, satisfaction conjugale et sexuelle
Cyber infidélité et satisfaction conjugale et sexuelle
Objectifs et hypothèses
Méthode
Participants
Procédure
Instruments
Personnalité
Attachement
Ajustement dyadique
Satisfaction sexuelle
Sites Internet pour adultes
Cyber infidélité
Résultats
Analyses descriptives
Analyses préliminaires
Modèle acheminatoire
Discussion
Limites
Implications pratiques
Références
Discussion
Contribution des résultats
Limites de la thèse et recherches futures
Orientations des futures recherches
CONCLUSION GENERALE

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