Les agressions sexuelles demeurent une problématique sociale importante et délétère. En effet, il est estimé que près d’une femme sur quatre et d’un homme sur dix seront victimes d’un délit sexuel avant qu’ils atteignent la majorité (Hébert, Tourigny, Cyr, McDuff, & Joly, 2009). De plus, les répercussions engendrées par la victimisation sexuelle sont préoccupantes et celles-ci peuvent affecter la santé physique et mentale des victimes à court, moyen et long terme. Dans l’objectif de prévenir les agressions sexuelles perpétrées à l’endroit de jeunes victimes, il importe donc d’identifier les facteurs pouvant mener les agresseurs à commettre de telles infractions. Certaines caractéristiques telles que les déficits d’empathie générale et les distorsions cognitives sont associées à l’avènement d’agressions sexuelles (Abel, Becker, & CunninghamRathner, 1984; Marshall, Hudson, Jones, & Femandez, 1995). Ainsi, les personnes commettant des délits de nature sexuelle à l’égard des enfants présenteraient une difficulté à éprouver des réactions empathiques (Marshall, Jones, Hudson, & McDonald, 1993) et adhèreraient à des croyances erronées quant à la légitimité et l’acceptabilité des contacts sexuels entre un adulte et un enfant (Bumby, 1996). Cet essai vise donc à examiner simultanément les concepts d’empathie et de distorsions cognitives chez des agresseurs sexuels intrafamiliaux. Le désir de projeter une image favorable de soi (désirabilité sociale), phénomène fréquent chez les personnes commettant des délits sexuels, sera contrôlé. L’examen empirique de ces notions permettra une meilleure compréhension conceptuelle de la relation entre ces deux variables et pourra aider au développement de traitements dans des objectifs ultimes de prévention et de réduction des risques de récidive chez des agresseurs sexuels intrafamiliaux.
En préambule, le concept d’agression sexuelle sera défini afin de bien saisir une des thématiques centrales du présent essai. Par la suite, certaines caractéristiques propres aux auteurs de délits à caractère sexuel commis envers des enfants seront présentées. Puis, la revue de littérature sera centrée sur les deux variables d’intérêt, soit l’empathie et les distorsions cognitives. Ainsi, seront étayés la définition des variables, leur rôle distinct et parfois complémentaire dans l’agir délinquant ainsi que les différentes catégories sous lesquelles les variables peuvent se regrouper. S’ensuivra une recension des relations pouvant être établies entre les déficits d’empathie générale et la présence de distorsions cognitives chez des hommes ayant perpétré des agressions sexuelles à l’égard de victimes mineures. Les hypothèses de même que les questions de recherche seront introduites. Ensuite, les caractéristiques de l’échantillon seront fournies et les divers instruments utilisés pour mesurer les variables seront explicités. Enfin, les résultats des différentes analyses statistiques seront décrits, puis discutés en regard de l’état actuel des connaissances quant aux agressions sexuelles intrafamiliales.
Après avoir fourni une définition rigoureuse des agressions sexuelles, leurs différentes formes de même que leur incidence et prévalence seront présentées. Se succéderont une distinction entre les différents types d’agressions sexuelles (incestueuses, intrafamiliales et extrafamiliales) de même que les caractéristiques leur étant spécifiques.
L’agression sexuelle peut être définie selon des perspectives cliniques et légales. Ainsi, les deux définitions se complètent alors que la première renvoie à une relation d’inégalité existant entre la victime et l’agresseur, ce dernier exploitant habituellement la situation de dépendance de l’enfant envers lui-même afin de commettre des actes sexuels inappropriés (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2010) tandis que la seconde repose plutôt sur le postulat que les agressions sexuelles sont des actes de pouvoir et de domination de nature criminelle exercés par l’agresseur (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2001).
Sur le plan clinique, l’agression sexuelle envers un enfant ou un adolescent se caractérise, selon la table de concertation des Directeurs de la protection de la jeunesse du Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2010), comme un geste posé par une personne qui donne ou recherche une stimulation sexuelle inappropriée compte tenu de l’âge et du niveau développemental de l’enfant ou de l’adolescent. Cet acte est commis par un individu ayant un lien de consanguinité ou étant en position de responsabilité, d’ autorité ou de domination avec la victime et porte ainsi atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de l’ enfant ou de l’ adolescent. Ces gestes a caractère sexuel sont considérés comme non appropriés puisqu’ils sont imposés à une personne ne possédant pas les capacités nécessaires (âge, développement affectif, maturité et connaissances) afin d’y réagir adéquatement (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2010).
L’agression sexuelle aux plans juridique et criminel inclut les abus sexuels, le viol, les infractions sexuelles, les contacts sexuels, l’inceste, la prostitution et pornographie juvéniles (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2001). Elle est définie par un geste à caractère sexuel, qu’il y ait ou non contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, lors de certaines situations et plus particulièrement dans celles comportant des enfants, par une manipulation affective ou par du chantage. Il s’agit d’un acte cherchant à assujettir une autre personne à ses propres désirs que ce soit par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite. Une agression sexuelle porte atteinte aux droits fondamentaux d’une personne, notamment à son intégrité corporelle ou psychique et à sa sécurité (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2001). ‘ Il est à noter que l’âge de consentement aux activités sexuelles au Canada est de 16 ans (Ministère de la Justice du Canada, 2015). Il existe toutefois certaines exceptions relatives à la « proximité d’âge ». Ainsi, une jeune personne de 14 ou 15 ans peut consentir à des activités sexuelles avec un partenaire lorsque ce dernier est de moins de cinq ans son aîné et qu’il n’y a aucune relation de confiance, d’autorité, de dépendance ou de forme d’exploitation. En ce qui concerne les enfants âgés de 12 et 13, ceux-ci peuvent consentir à des activités sexuelles si le partenaire est de moins de deux ans leur aîné (Ministère de la Justice du Canada, 2015).
Les fonnes d’agressions sexuelles commises envers les enfants et retenues dans le cadre de la présente étude sont les propositions verbales pour des actes sexuels, l’obligation pour l’enfant de regarder des scènes sexuelles ou des scènes d’agressions sexuelles, le voyeurisme, l’exhibitionnisme, les attouchements sexuels que l’agresseur a commis ou a demandés à l’enfant de lui faire ainsi que les relations sexuelles complètes. Il s’agit d’une recension plus restreinte que celle habituellement retrouvée dans la littérature concernant les agressions sexuelles alors que certaines recherches incluent, par exemple, l’exploitation sexuelle des enfants à des fins de prostitution ou de pornographie juvéniles (Trocmé et al., 2001). Les fonnes d’agressions sexuelles les plus fréquemment commises à l’égard des enfants sont les attouchements ou caresses des organes génitaux de l’enfant par l’agresseur suivies des relations sexuelles complètes ou tentatives de relations sexuelles complètes (Snyder, 2000; Tourigny, Mayer, & Wright, 2002; Trocmé et al., 2001).
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