Les poissons d’eaux vives, «angl.: stream fish », démontrent une très grande variation de taille au cours de leur vie. Cette variation complique leur cycle vital ainsi que leurs patrons d’utilisation des différents habitats (Schlosser, 1991). Les multiples ressources nécessaires à leurs besoins (nourriture, site de fraie, refuge) tendent à avoir une distribution éparse et inégale, en plus d’être variables qualitativement et quantitativement (Townsend, 1989). Durbec et al. (201Oa) ont répertorié trois activités d’importance biologique, soit la reproduction (Hobson et Wassenaar, 1997), l’alimentation (Ciancio et al., 2008) et l’hivernation (Wocher et Rosch, 2006), qui incitent les animaux à entamer ces mouvements entre divers habitats. Les organismes doivent donc réaliser un grand éventail de mouvements ou de migrations (longitudinaux, horizontaux et verticaux) afin d’accéder aux ressources et ainsi répondre à leurs demandes biologiques (Schlosser, 1995; Jungwirth et al., 1998; Hohausova et al., 2003). Schlosser (1995) présente un schéma conceptuel répertoriant les mouvements entre les différents habitats du cycle annuel d’un poisson.
Lors du cycle annuel, les poissons sexuellement matures migrent vers les sites de fraie afin de trouver des zones regroupant les caractéristiques environnementales répondant à leurs besoins pour la reproduction (ex., substrat, vitesse de courant, température) (Schlosser, 1991). Par exemple, l’esturgeon jaune (Acipenser fulvescens) entreprend une migration longitudinale vers l’amont de la rivière afin d’atteindre un site de fraie (Auer, 1996). Généralement, les caractéristiques environnementales des sites de fraie diffèrent de celles retrouvées aux sites d’hivernage et d’alimentation.
Les différences des caractéristiques environnementales entre les multiples habitats utilisés au cours de l’ontogénèse ont été étudiées chez plusieurs espèces, tel l’esturgeon jaune (McKinley et al., 1998) et la perchaude (Perca flavescens) (Radabaugh et al., 2010). En étudiant les déplacements des populations de doré jaune (Sander vitreus) du lac Érié, Wang et al. (2007) ont démontré que les populations migratrices ont tendance à avoir une biomasse plus élevée ainsi qu’un taux de reproduction supérieur à celui des populations dites sédentaires. Ceci pourrait s’ expliquer par le fait que les individus migrateurs exploitent des habitats supportant des conditions optimales (ex.: température, abondance de proies) qui maximisent le développement des individus. Cette stratégie de changer d’habitats spécifiques afin d’optimiser la croissance est répandue chez plusieurs espèces (Schlosser, 1995). De plus, lorsque la température de l’eau chute à l’automne et au début de l’hiver, les poissons entament une migration vers les refuges hivernaux (Schlosser, 1995; Lucas et Baras, 2001). Ces refuges se caractérisent par leur capacité à atténuer les fluctuations de température ainsi que les changements brusques et extrêmes du niveau d’eau, réduisant de ce fait le stress physiologique des poissons (Schlosser, 1991).
Migration partielle
Il est toutefois possible qu’une espèce démontre des variations au sein de sa stratégie de migration (Newton, 2008). Lorsqu’il y a présence de plusieurs stratégies de migration au sein d’une même population génétique, nous sommes en présence de migration partielle (Berthold, 2001, Kerr et al. , 2010; Chapman et al., 2012). Chaque sous-groupe associé à une stratégie de migration au sein d’une population partiellement migratrice est appelé un contingent (Secor, 1999; Chapman et al., 2012). Les populations sont généralement divisées en deux contingents : migrateur et résident. Le contingent migrateur est composé d’individus se déplaçant entre les habitats pour exploiter les ressources, tandis que les individus du contingent résident sont sédentaires, exploitant les ressources d’un seul habitat. Shaw et Levin (2011) décrivent trois types de migration partielle soit la migration partielle non-reproductive, reproductive et reproductive alternée . La migration partielle non-reproductive se produit lorsque les deux contingents, migrateur et résident, vivent dans des habitats différents, mais que le contingent migrateur migre dans l’habitat du contingent résident pour se reproduire. À l’opposé, la migration partielle reproductive implique que les deux contingents vivent au sein du même habitat, mais se reproduisent dans des habitats distincts. La migration partielle reproductive alternée se produit lorsque les individus d’une population ne se reproduisent pas toutes les années. Le contingent migrateur est composé d’individus en reproduction et le contingent résident est formé d’individus ne se reproduisant pas cette année. Le contingent résident ne se reproduisant pas n’a pas à se déplacer pour accéder à un habitat propice à la reproduction.
Les contingents ayant des stratégies de VIe distinctes peuvent développer des caractéristiques différentes. Par exemple, les contingents de certaines espèces de salmonidés démontrent un polymorphisme en relation avec leur stratégie de migration (Jonsson et Jonsson, 1993). De plus, les résultats obtenus par Kerr et al. (2010) montrent que les contingents composant une population diffèrent en stabilité, productivité et résilience face aux changements environnementaux. Il est donc pertinent d’étudier les populations au niveau des contingents afm d’établir des stratégies de conservation adéquates. Bien que la migration partielle soit bien documentée pour certaines familles de poisson, comme les cyprinidés et les salmonidés (Brodersen et al., 2008, Chapman et al,. 2013), il y a un manque de connaissances pour la majorité des familles taxonomiques.
Connectivité
La connectivité est un concept fondamental que l’on retrouve dans plusieurs branches de l’écologie (ex.: biologie des métapopulations, écologie du paysage) (pringle, 2003). On définit la connectivité comme étant « le degré auquel le paysage facilite ou entrave les mouvements d’un organisme entre différentes ressources» (Taylor et al., 1993). La connectivité influence le déplacement des poissons et par le fait même, leur accès aux ressources. Depuis plusieurs années, la connectivité ainsi que plusieurs autres principes tirés de l’ écologie du paysage sont incorporés dans les recherches sur l’écologie des rivières. L’incorporation de ces principes donna naissance à une nouvelle discipline, « angl. : riverscape ecology » qui sera traduit dans ce travail par l’écologie du paysage fluviale (Schlosser, 1991; Ward et al. , 2002). La notion de variabilité hydrologique annuelle est très importante dans l’ écologie du paysage riverain. Elle agit sur le niveau de connectivité entre différents habitats ainsi que sur la taille des habitats. Ces variations sont principalement causées par les fluctuations du niveau d’eau reliées aux périodes d’inondation et de sécheresse (Taylor et Warren, 2001). Plusieurs espèces de poissons synchronisent donc leur migration entre les multiples habitats avec une période de forte connectivité. Par exemple, la perchaude migre horizontalement vers les herbiers au printemps afin de déposer ses œufs lorsque le niveau de l’eau est élevé, ce qui génère ainsi une plus grande connectivité entre ces deux habitats (Scott et Crossman, 1974; Radabaugh et al., 2010).
CHAPITRE 1 RESUME SUBSTANTIEL |