Les corps étrangers (CE) laryngo-trachéo-bronchiques de l’enfant représentent une situation assez fréquente aux urgences pédiatriques. En France, on estime entre 500 et 600 admissions aux urgences pédiatriques par an, pour suspicion d’inhalation de CE [1,2].
Ils constituent, du fait de leur morbi-mortalité, la localisation la plus redoutée en particulier chez l’enfant de moins de trois ans [3]. En cas d’enclavement laryngé ou sousglottique, le pronostic vital est mis en jeu. En 2005, aux États-Unis, l’inhalation des CE représentait la quatrième cause de décès par accident chez l’enfant [4,5]. Cependant, en cas d’enclavement bronchique diagnostiqué tardivement le CE peut être à l’origine de complications et séquelles bronchopulmonaires pouvant être redoutables [6].
L’accident d’inhalation des CE laryngo-trachéo-bronchiques constitue un véritable challenge diagnostique. Le syndrome de pénétration qui constitue l’élément clinique clé d’un diagnostic précoce peut passer inaperçu. En plus, les données de l’examen clinique et la radiographie thoracique peuvent être tout à fait normales devant d’authentiques inhalation de CE, surtout dans les premières heures après l’accident [7]. Ceci fait appel à une coopération étroite entre généralistes, pédiatres et oto-rhino-laryngologistes.
Le gold standard du traitement est la réalisation d’une trachéo-bronchoscopie à tube rigide sous anesthésie générale, afin de confirmer la présence d’un CE et de réaliser son extraction [2,8].
L’objectif à travers cette étude était de tracer de façon prospective le spectre épidémiologique de l’inhalation des CE laryngo-trachéo-bronchiques dans notre contexte, et de discuter des recommandations de prévention de cet accident grave.
Epidémiologie
Fréquence
L’inhalation des CE laryngo-trachéo-bronchiques est un problème universel, constituant une cause importante de morbidité et de mortalité infantiles [1].
Aux États-Unis, l’inhalation de CE représentait la quatrième cause de décès par accident chez l’enfant et était responsable de 160 décès en 2000 [5,9].
Son incidence est très élevée. En Chine, sur une période de 30 ans, 3028 cas ont été recensés [10]. Aux Etats-Unis, l’inhalation de CE chez l’enfant est estimée à 29.9/100000 [9]. Selon le rapport de la santé du gouvernement fédéral de l’Allemagne, environ 1400 cas d’inhalation survenaient chaque année [11]. Au Sénégal, elle constitue le deuxième motif d’hospitalisation des enfants dans les services d’ORL [12].
Selon Boufersaoui, pendant plus de 20 ans, le nombre de cas de CE des voies respiratoires est en augmentation régulière : 100 à 150 cas par an sont admis en Algérie [13]. Malgré le nombre large des études épidémiologiques faites sur l’inhalation des CE chez l’enfant, l’incidence réelle de cette pathologie reste souvent difficile à mettre en évidence [9].
Au Maroc, 524 cas d’inhalation de CE sont recensés dans le service de réanimation pédiatrique polyvalente de l’hôpital d’enfants de Rabat entre janvier 2005 et décembre 2010, mais en l’absence d’un registre national, il est difficile d’établir un chiffre réel sur la proportion d’inhalation de CE [14].
Age :
A partir de six mois, la préhension manuelle chez l’enfant devient efficace, et la tendance à porter différents objets et aliments à la bouche pour découvrir le monde environnant se développe. En plus, l’enfant n’a pas encore acquis la capacité cognitive lui permettant de distinguer les aliments comestibles des objets non comestibles.
Les facteurs favorisant les accidents d’inhalation chez l’enfant de bas âge sont [15] :
− L’immaturité du réflexe de protection des voies aériennes supérieures,
− La diminution des capacités de mastication (et notamment l’absence des molaires supérieures et inférieures qui ne se développent qu’à partir de 6 ans).
− Les inspirations profondes et brusques lors d’une toux, d’une distraction, ou d’une
émotion tels que le rire ou la surprise.
La majorité des séries rapportées dans la littérature précisent que la tranche d’âge la plus exposée se situe entre 1 et 3 ans [13,16-21,25,26]. Notre série rejoint de loin ces résultats, avec 48,27% des enfants dont la tranche d’âge se situait entre 1 et 3 ans.
Sexe :
Les jeunes garçons sont les plus touchés [13,16-21,25]. Cette situation s’expliquerait par leur caractère plus aventurier, ou pour certains auteurs, par une différence de maturité du carrefour pharyngolaryngé entre les deux sexes du même âge [26].
Nature des corps étrangers :
Deux catégories sont à considérer : les corps étrangers organiques et non organiques. Leur nature et leur fréquence dépendent de la population étudiée, et donc des facteurs géographiques, économiques, et socioculturels. En Algérie, sur une série de 2624 cas, les CE organiques représentaient 66.7%, étaient dominés par les cacahuètes (63.9%), les CE inorganiques étaient retrouvés dans 25,7% [13]. En Tunisie, les CE étaient de nature végétale dans 78,1 % des cas, dominés par les cacahuètes, grains de tournesol et amandes retrouvés respectivement dans 21,1 %, 19,6 % et 10,9 % des cas. Les CE non végétaux étaient de nature variable et retrouvés dans 21,9 % [16].
En France, la nature organique des CE était retrouvée dans trois quarts des cas, le plus souvent d’origine alimentaire (fruits secs oléagineux) et seulement 10% des CE étaient métalliques (radio-opaques) [18]. En Allemagne, dans la série de Ö Göktas et al. , les graines, noix et baies étaient présents avec 69,2% des cas, alors que les CE inorganiques ne représentaient que 11,5% des cas [28]. En Amérique du nord, selon Zerella, la proportion représentée par les noix (32%) et les graines (24,5%) étaient les plus importantes, par contre les objets plastiques et métalliques ne représentaient respectivement que 10,5% et 1,8% des cas [29]. Au Liban, les cacahuètes et les pistaches étaient le plus fréquemment rencontrées et constituaient 48 % des corps étrangers extraits [17]. A Dubaï, la même observation est faite par Al-Hilou avec 75,5 % de CE alimentaires, les pépins de melon en représentaient la grande majorité car ils sont cultivés toute l’année [30]. Il en est de même pour la série Turque d’Eren, où les pépins de pastèques étaient les CE inhalés les plus fréquents (38,7%) [31]. Une série faite en Chine, portant sur 1024 enfants, a montré que 57,8% étaient des cacahuètes et 40,5% des pépins de melon [19]. Une étude faite en Iran sur 1114 cas, les CE organiques constituaient 89.47%, les graines représentaient la proportion la plus fréquente (63,91%) de l’ensemble des CE extraits [25]. En Inde, arachides, noix, graines de tamarin, morceaux de pomme et pois verts étaient retrouvés dans77.1%. Les CE non organiques (épingles, pièces en plastique, sifflet, bouchon de stylo, pierre, morceaux de bois) étaient extraits dans 22,9% [24]. Dans notre série, les CE organiques (49%) étaient observés chez les enfants de moins de 3ans, alors que les CE non organiques (47%) dominés par l’épingle de foulard (24.3%) et le sifflet (22%) étaient plutôt retrouvés chez le grand enfant et l’adolescent.
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