Les points précédents nous amènent au lien entre la situation incertaine des migrants en Suisse et son influence sur le risque de pauvreté et de maladie. Abordons donc maintenant les facteurs favorisant et les conséquences individuelles et sociétales de la pauvreté des migrants.
Certains facteurs (emplois précaires, niveau de formation, santé, etc.) favorisent la pauvreté. Pour identifier et mesurer cette pauvreté, les auteurs Schuwey C. & Knöpfel C. (2014) prennent en considération tous les domaines de la vie de chaque individu qui s’influencent réciproquement, il s’agit d’une approche fondée sur les conditions de vie. Ces dernières peuvent être : le statut de séjour qui limite l’accès au travail, au logement ou encore à la formation (sans-papiers, déboutés, réfugiés, requérants d’asile). Ces conditions de vie concernent également l’intégration professionnelle et sociale de l’individu, sa santé, ses ressources financières disponibles, sa formation, l’accès au logement, la richesse culturelle, mais aussi la famille d’origine. Pour plusieurs de ces dimensions comme l’intégration sociale et professionnelle, la question de l’argent reste déterminante, car il permet de se former, de participer à la vie sociale etc. Ces dimensions peuvent être un cumul de difficultés qui s’enchaînent (exemple : la maladie: perte d’emploi, difficultés financières et assurantielles, isolement). Toutes ces circonstances renforcent la possibilité d’une situation de pauvreté au cours de la vie selon les imprévus, mais elles n’y conduisent pas forcément. Pierre Bourdieu (1986) parle de capital social (l’entourage, la connaissance et la compréhension du réseau, l’individu a les ressources pour faire face et surmonter les situations), économique et culturel (intégration, langue). Selon Bourdieu (1986), les êtres humains ne naissent pas tous égaux, avec les mêmes capitaux et les mêmes chances. Chacun a plus ou moins de stratégies pour surmonter la pauvreté, mais « les personnes qui grandissent dans des conditions défavorables [sur ces trois plans :
social, économique et culturel (…)], ont moins de chances de réussir à l’école et sur le plan professionnel que les personnes plus privilégiées ».
Ensuite, il existe une discrimination liée à l’origine (difficultés à accéder à un emploi, rejet de la différence, formations à l’étranger non reconnues, etc.). De plus, les possibilités de ces migrants de se former en Suisse sont faibles. Ils restent donc considérés comme non qualifiés et vivent dans des conditions économiques précaires (difficultés à rester sur le marché du travail, chômage de longue durée avec des indemnités journalières toujours moins élevées, aide sociale). En outre, ces emplois précaires et peu qualifiés sont souvent instables, de ce fait en cas de crise économique, ces postes sont les premiers touchés. Ces derniers sont également fréquemment des travaux néfastes pour la santé et peu épanouissants. La formation reste donc une arme importante contre la pauvreté.
Des revenus trop faibles ne permettent pas de planifier son avenir ni de se projeter dans le futur, de plus, les personnes concernées sont souvent mal assurées et vivent dans des logements inappropriés (trop chers, trop petits, délabrés, isolés), ainsi, si un imprévu survient, elles seront la plupart du temps dans des situations de détresse très graves. Cette pauvreté a pour conséquences une pression financière constante et l’endettement.
De plus, en Suisse, les étrangers en situation de pauvreté sont stigmatisés, car l’image de la responsabilité individuelle est très ancrée, par exemple, devoir bénéficier de l’aide sociale, est devenu une menace de perdre son permis de séjour et de devoir quitter le pays. En ce qui concerne la santé, elle est un droit fondamental pour tous, indépendamment de l’origine, l’âge, le sexe, ou la religion. Malgré cela, les auteurs de cette étude (Schuwey C. & Knöpfel C., 2014) constatent que les personnes en situation de pauvreté sont plus souvent malades, isolées et meurent plus jeunes. Les pauvres n’ont pas le temps, ni l’argent pour prendre soin d’eux. C’est un cercle vicieux, la pauvreté favorise la maladie, ce qui aggrave la pauvreté ou vice-versa, la maladie peut amener la pauvreté. Les inégalités sociales influencent donc la santé, ce phénomène est appelé « gradient social ».
Les migrants semblent donc avoir des conditions de vie qui les vulnérabilisent face à la maladie. Les répercussions sur la société sont également élevées, car un travailleur bien formé et en bonne santé contribue à son bon fonctionnement ; il rapporte plus à la société que ce qu’il ne lui coûte. Ces inégalités sociales provoquent une dégradation des relations : méfiance, tensions, intolérance.
En somme, nous constatons que les pauvres et les riches ne sont pas égaux face à la maladie et que la pauvreté et la maladie sont étroitement liées. Selon l’étude de Kurth M. (2009), beaucoup de personnes considèrent n’avoir pas assez d’argent pour se nourrir sainement et vont plus rarement chez le médecin. Il y a, par exemple, de fortes inégalités face au cancer de la prostate ; les pauvres ont deux fois plus de chance d’en mourir que les riches. Cela s’explique du fait que ces derniers vont plus rapidement chez le médecin et font des dépistages et des contrôles réguliers. Pour les personnes défavorisées, le diagnostic est souvent tardif et la maladie plus difficile à soigner. De plus, le problème de la langue accentue l’isolement et le risque de maladie ; beaucoup d’étrangers en Suisse ne connaissent ni l’anglais, ni l’une des langues nationales. L’absence de ressources empêche, entre autres, de faire appel à un interprète communautaire à l’hôpital. L’usage du système de santé n’est ainsi pas égal pour tous ; c’est un cercle vicieux : « plus on est pauvre, plus on est malade ; plus on est malade, plus on est pauvre » . Ensuite, le système pousse ces individus dans les marges et elles seront maintenues dans la pauvreté. « Les enfants pauvres ont beaucoup plus de risques d’être des adultes malades, et les adultes malades sont de plus en plus souvent destinés à être pauvres et sans travail » , leurs enfants pauvres auront davantage de chances d’être malades etc.
D’une société solidaire pour le bien commun, d’entraide et d’égalité, nous en sommes arrivés à la supériorité de l’économie à n’importe quel prix. Il faut être efficace et avoir de l’argent, sinon nos droits, – même celui d’être en bonne santé – et notre existence sont limités. Nous sommes passés d’une société dite de contrat social à une société de contrat d’entreprise.
Introduction |