AXE DÉPISTAGE
Le but de cette partie de la revue de littérature était de répondre à la question suivante : comment l’infirmière peut-elle détecter des signes de violence chez des patientes admises dans un service d’urgences ?
Les résultats de nos analyses d’articles mettent en évidence des outils et des interventions variées qui pourraient permettre à l’infirmière de dépister les femmes victimes de la violence dans un service d’urgences.
La lecture des résultats des études de plusieurs auteurs (Mannier, 2013 ; Svavarsdottir, 2008 ; Trauman et al., 2009 ; Yonaka et al., 2007) permet de relever qu’il existe une faille lors du dépistage des femmes victimes de violence conjugale dans les services d’urgences et qu’une grande majorité des patientes se présentant aux urgences ne sont pas dépistées. Pour revenir à notre problématique, effectivement, en Suisse romande, la violence conjugale n’est pas prise en soins de façon systématique. À ce propos, Hofner et Viens Python (2014) ont aussi relevé que les cas de violence sont traités par le personnel de manière intuitive et en fonction des sensibilités de chacun. En outre, elles relèvent qu’il n’existe pas de protocole de détection.
Nous avons essayé de joindre par courriel le service des urgences du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) afin d’obtenir des informations plus concrètes concernant la détection des situations de violence conjugale, mais nous n’avons pas reçu de réponse pour le moment. Toutefois, une de nos collègues ayant effectué un stage aux urgences du CHUV nous a expliqué qu’il n’y a pas de protocole de dépistage ; néanmoins, si la patiente déclare avoir subi une violence, elle reçoit une carte de visite de l’UMV. Certes, la violence conjugale y sera détectée et accompagnée par une équipe spécialisée. Mais en attendant, la patiente ne risque-t-elle pas de se décourager et de retourner auprès de son agresseur dans l’intervalle ?
Selon Yonaka et al. (2007), les infirmières ne procèdent au dépistage que lorsque les symptômes de la violence sont visibles, ce qui indique que les violences psychologiques, sexuelles et autres sont rarement soulevées dans les services d’urgences. Par ailleurs, Yonaka et al. (2007) confirment que les facteurs majeurs qui inhibent le dépistage de la violence conjugale sont dus à un manque de formation des infirmières ; ils relient cela à la diversité des diplômes et des formations. En effet, certains cursus n’incluent pas de cours concernant la violence et le dépistage. Dans le canton de Vaud, comme mentionné précédemment, le programme de formation pour le dépistage de violence conjugale a été arrêté suite à l’implantation de l’UMV. Cela permet d’expliquer – hypothétiquement – la négligence de détection dans nos services d’urgences qui est relevée par Hofner et Viens Python (2014). La Suisse est tout aussi concernée par la diversité des diplômes que les autres pays. La formation des infirmières concernant la violence conjugale n’est pas uniformisée. La formation de Bachelor en soins infirmiers dans la Haute école de la Santé La Source (HES SO) délivre une seule conférence sur le thème de la violence/maltraitance sur trois années de formation, ainsi qu’un module à option sur ce sujet. À Lausanne, depuis 2012, l’UMV, en partenariat avec La HEdS La Source, propose une formation de certificat de pratique avancée (CAS) sur une année afin que les professionnels qui abordent la thématique de la violence puissent développer des compétences pour mieux prendre en soins les victimes de la violence (Ghaber, 2015). Mais est-ce suffisant ?
Selon Mannier (2013), une femme sur trois admise aux urgences est victime de violence conjugale. C’est pourquoi Mannier (2013), Svavarsdottir (2008), Trauman (2009) et Yonaka et al. (2007) proposent des outils différents afin d’aider les infirmières à effectuer un dépistage pertinent. D’autre part, Trauman et al. (2009) ont démontré que le dépistage par un questionnaire informatique était plus pertinent que le dépistage effectué par l’équipe soignante.
En outre, Svavarsdottir (2008) affirme que le dépistage par un formulaire a ses limites. Elle met en évidence le fait que lorsque les infirmières ont reçu une formation, il n’y a pas de différence significative quant au taux de dépistage entre l’entretien par une infirmière formée pour le dépistage et le formulaire WAST (Women Abuse Screening Tool). En revanche, elle affirme que la relation de confiance est très importante avant que l’infirmière ne procède au dépistage, et cela indépendamment de l’outil ou de la façon dont elle effectuera le dépistage. La présence d’un environnement sécurisé représente également un atout majeur. Par la suite, les infirmières cliniciennes doivent sélectionner la méthode appropriée, que ce soit par un formulaire de dépistage ou pas, selon la situation. Lorsque le protocole de dépistage n’est pas suivi correctement par l’infirmière, son résultat n’est pas bénéfique pour la patiente.
Mannier (2013) constate qu’un entretien infirmier mené par une infirmière formée augmente le taux de dépistage et améliore la suite de la prise en soins de la patiente tout en stimulant la collaboration interdisciplinaire.
AXE DÉPISTAGE : PISTES POUR LA PRATIQUE
Le premier élément du code déontologique infirmier (CII, 2012) impose que « l’infirmière partage avec la société la responsabilité du lancement et du soutien d’initiatives permettant de satisfaire les besoins sociaux et de santé de la population, en particulier des groupes les plus vulnérables ».
Pour être en accord avec l’éthique professionnelle, l’infirmière doit disposer d’un certain nombre de savoirs indispensables à sa pratique. Aussi ancienne qu’elle puisse être, la profession infirmière est assez jeune dans le monde des professions partiellement autonomes. En Suisse romande, la formation Bachelor en soins infirmiers existe seulement depuis 2006. Cette formation sensibilise les étudiants à plusieurs types de violences, mais l’enseignement en la matière n’est pas uniformisé. Toutes les HES n’abordent pas les mêmes thématiques. Sachant que les infirmières travaillant sur le terrain n’ont pas forcément eu l’occasion d’être formées, il nous paraît utile de suggérer des pistes qui permettraient aux infirmières des services d’urgences d’exercer leur profession en fonction des règles et des normes éthiques et déontologiques de la profession. En effet, nos lectures ont démontré que la majorité des femmes victimes de violence conjugale se présentent en premier lieu aux urgences. Ces services doivent être en mesure de former les infirmières à la détection de la violence conjugale.
Preuves à l’appui, nous constatons que l’utilisation d’outils de dépistage dans les services d’urgences est un atout majeur pour une infirmière formée en dépistage et détection de la violence conjugale. Dans le cas contraire, l’aiguillage des patientes est moins adéquat et l’outil utilisé perd son efficacité. Comment procéder ? Nous constatons une forte nécessité de formation avant d’entreprendre toutes les autres actions. Ensuite, dans l’idéal, un questionnaire anonyme devrait être rempli par les infirmières du service des urgences. Cela permettrait aux formateurs de cibler le contenu de la formation en fonction des besoins éthiques, culturels, linguistiques ainsi que des stéréotypes de l’équipe. Une fois les problèmes identifiés, les infirmières pourraient recevoir une formation adéquate et apprendre à utiliser un outil de dépistage. Ce dernier ne doit pas exclure le contact avec l’infirmière, qui est précieux pour une femme victime de violence, car elle a besoin de se sentir écoutée, en sécurité et en confiance. Des théories de sciences infirmières comme celle de Watson (2002) sont des ressources pour prendre en soins des femmes victimes de violence conjugale. Selon la littérature, le dépistage systématique, comme l’« Universel Screening » qui se pratique aux États-Unis, et la présence d’un protocole dans le service permettrait d’augmenter significativement le taux de dépistage. Au vu de l’ampleur mondiale de la violence conjugale, il serait fort utile d’uniformiser la formation sur la violence conjugale dans toutes les formations HES, par le biais des séminaires cliniques où les étudiants apprendraient l’usage de différents outils de dépistage comme le protocole DOTIP (Détecter, Offrir, Traiter, Informer et Protéger) ou WAST (Women Abuse Screening Tool). Un atelier pratique avec des acteurs serait aussi utile afin que les étudiants puissent mettre en pratique leur outil de dépistage et cibler leurs besoins. Cela leur permettrait d’apporter une vision nouvelle dans leur lieu de pratique.
1. Résumé |