Avant d’introduire le concept de « deuil », il me semble judicieux d’en donner une brève définition. Le terme de deuil est issu du verbe latin dolere qui signifie « souffrir» au même titre que le mot « douleur » (Bercovitz, 2004, p.15). Le deuil désigne à la fois la mort d’un être cher, l’état d’affliction dans lequel se trouve la personne qui a perdu un être aimé ainsi que les rituels sociaux et culturels qui surviennent suite au décès (Romano, 2009, p.112).En d’autres termes, il s’agit d’un processus psychologique plus ou moins long qui demande de prendre du recul face à la douleur occasionnée par la perte d’une personne aimée et dont la finalité se trouve dans la capacité à surmonter cette séparation définitive en élaborant de nouveaux investissements affectifs (Oppenheim, 2007, p.120) (Bercovitz, 2004, p.20). En outre, le deuil n’est pas seulement lié à la mort d’un proche mais bien à « l’expérience d’une perte absolue » (Romano, 2009, p.112). En effet, il se retrouve également lorsqu’il y a une interruption dans une relation qui unit deux personnes comme lors d’une disparition ou d’une séparation qui survient brutalement et qui revêt un caractère définitif (Romano, 2009, p.112). Freud désigne le « deuil » comme étant « la réaction à la perte d’une personne aimée » (Bacqué, 1997, p. 22). Cela va impliquer un processus d’acceptation qu’il nomme le travail de deuil (Bacqué, 1997, p. 22). Il s’agit d’un processus inconscient qui prend forme en plusieurs étapes (Romano, 2009, p.114).
Les étapes du travail de deuil
Charlotte Marceau et Alain Bercovitz, dans leurs ouvrages, distinguent trois grandes étapes dans le processus de deuil. Une première étape est celle du choc et de la sidération qu’occasionne la mort, principalement lorsqu’elle survient brutalement mais également en cas de maladie grave où le départ de la personne aimée est imminent. Cet état de choc se manifeste au niveau émotionnel, affectif et relationnel (Bercovitz, 2004, p.18) (Marceau, 2007, p.55-56). On constate aussi l’apparition d’un sentiment de colère où l’endeuillé ressent comme une forme d’abandon de la part du défunt (Bercovitz, 2004, p.19). La deuxième se caractérise par l’expression du chagrin lié au deuil avec l’apparition d’un état de dépression réactionnelle (Bercovitz, 2004, p. 19). Plus précisément, il affecte l’état général de l’endeuillé par des manifestations telles que des troubles de l’appétit, de la sexualité, du sommeil générant une extrême fatigue accompagné d’une souffrance significative et d’un désintérêt pour le monde environnant. Ajouté à cela des difficultés dans la manière de fonctionner et de grandes inhibitions (Marceau, 2007, p.55-56). La troisième et dernière étape concerne l’achèvement du travail de deuil qui se caractérise par la prise de conscience que la vie continue malgré la perte d’un être cher. L’évocation du défunt peut être faite sans que la personne ne soit affectée (Bercovitz, 2004, p.20) .
Manu Keirse quant à lui parle de quatre différentes tâches qu’effectue la personne lors de son processus de deuil. Il a choisi ce terme de « tâche » pour mettre en évidence le fait que l’endeuillé prend part à ce travail de deuil qui a pour but d’appréhender la perte de l’être cher. En outre, ce mot signifie que d’autres personnes sont susceptibles de l’aider dans son cheminement (Kierse, 2005, p.23). Pour que l’individu achève son deuil, ces quatre tâches doivent être réalisées. Sinon, il pourrait se trouver dans l’incapacité de renouer avec le bonheur qu’offre la vie (Keirse, 2005, p.24).
La première tâche mentionnée par Manu Keirse, « accepter la réalité de la perte » (Keirse, 2005, p.24) signifie que la personne en deuil peine à accepter la disparition de l’être aimé. Pour elle, ce n’est pas envisageable même si le décès était présagé. Les réactions primaires sont exprimées par des « Ce n’est pas vrai » ou « Je n’arrive pas à le croire » (Keirse, 2005, p.24). Certains sont abasourdis et cela peut se constater par une paralysie au niveau de l’élocution, ils deviennent incapables d’émettre le moindre son ou alors ils s’effondrent en larmes. Pour d’autres, il s’agit de rejoindre la personne décédée afin de se convaincre que ça n’est pas possible. Enfin, chez quelques individus, aucun sentiment n’est perceptible, d’où l’impression qu’ils nous renvoient de n’être nullement affectés par ce qui vient de se produire. Cela est dû au fait qu’ils n’ont pas encore assimilé la triste réalité. Pour Keirse, aucun travail de deuil ne peut être entamé, si la personne n’a pas accepté la disparition de son proche (Keirse, 2004, p.24). Souvent, les survivants sont sujets à des hallucinations ou des fantasmes au travers desquels ils semblent avoir senti, entendu ou aperçu le défunt. C’est un phénomène tout à fait normal qui peut durer sur le long terme lorsque l’on n’a pas pu anticiper le décès et que ce dernier est survenu de manière soudaine et tragique (Keirse, 2005, p.25). Keirse relève que pour prendre véritablement conscience de la perte, il y a nécessité de pouvoir voir le corps de la personne décédée même si cela est souvent difficile en raison de l’aspect du défunt selon les circonstances de la mort. Pourtant, cela permettrait aux endeuillés d’accepter la réalité du décès (Keirse, 2005, p.25). Comprendre les circonstances du décès est un autre élément fondamental pour le bon déroulement du deuil. Sans cela, il s’avérera beaucoup plus difficile (Keirse, 2005, p.26). Les enfants doivent aussi avoir la possibilité de voir leur proche décédé et d’être tenus au courant de ce qu’il lui est arrivé. Bien sûr, il faut qu’ils soient accompagnés et qu’on leur laisse le loisir de poser toutes les questions qui les préoccupent (Keirse, 2005, p. 27).
La deuxième tâche mentionnée par Keirse consiste en la prise de conscience de la douleur qui survient après le décès (Keirse, 2005, p. 27). Il est inutile d’essayer de masquer cette dernière en faisant mine de ne pas y penser ou d’endiguer ses émotions lorsqu’elles surviennent. Qu’importe la façon que l’on trouvera pour échapper à la souffrance, celle-ci reviendra au galop un jour ou l’autre. Si l’on désire reprendre goût à la vie suite à un décès, il faut laisser place à la douleur (Keirse, 2005, p.27-28). On a besoin d’en faire l’expérience car la douleur qui n’a pas pu être vécue pourra resurgir plus tard en prenant l’allure d’une maladie ou d’un trouble du comportement. Lorsqu’une personne est endeuillée, elle n’est pas dans un état dépressif tout le temps mais seulement à certains moments ou la douleur se fait plus intense. Durant ces instants, une forte angoisse peut surgir ainsi qu’une grande souffrance psychologique. L’endeuillé pleure fréquemment à la suite de la perte de son proche mais peu à peu avec le temps, les larmes s’estompent. Pourtant, de temps à autre, lorsqu’un événement rappelle le disparu, la tristesse peut regagner l’endeuillé (Keirse, 2005, p.28). Si la douleur de la perte se manifeste d’un point de vue physique ou par des sanglots, elle peut aussi revêtir un caractère agressif ou révoltant. Une personne en souffrance, peut en vouloir au défunt, à elle-même, à Dieu voire même au personnel hospitalier. Ce genre de manifestations est tout à fait normal lors d’un processus de deuil. Il est important de ne pas les rejeter ou de faire en sorte qu’elles ne puissent pas s’exprimer (Keirse, 2005, p.29). De plus, il n’est pas rare que l’endeuillé se sente coupable du décès. Pour Keirse, il est nécessaire de laisser la personne exprimer cette culpabilité qu’elle soit fondée ou non car c’est une façon pour elle de manifester sa peine. C’est un phénomène totalement courant dans le processus de deuil (Keirse, 2005, p.30). Pour aider les personnes qui vivent la perte d’un de leur proche, il ne faut pas chercher à éviter la douleur à tout prix, bien au contraire. On l’accompagne dans la tristesse en ayant une oreille attentive sur ses sentiments et non en lui disant ce qu’il serait bon qu’il éprouve (Keirse, 2005, p.32).
Keirse parle d’une troisième tâche qu’il définit en ces termes « s’adapter à son environnement, sans le défunt » (Keirse, 2005, p.32). C’est-à-dire qu’il faut apprendre à évoluer dans un quotidien nouveau sans la présence de la personne décédée. Cette tâche sera vécue différemment selon la personnalité de l’endeuillé, sa relation avec le défunt ainsi que l’importance qu’il avait dans sa vie (Keirse, 2005, p.32). On peut échouer dans cette tâche si l’on est incapable de vivre avec le souvenir de son proche décédé. Un phénomène d’idéalisation du défunt peut alors prendre forme. Il n’est pas nécessaire de chercher à le faire disparaître, au contraire, il faut qu’il prenne place. Lorsque le processus de deuil se réalise normalement, on remarque peu à peu une diminution de l’idéalisation. Une représentation plus conforme à la réalité voit le jour avec ses côtés positifs et négatifs. On peut tenter de garder un lien avec le défunt par l’identification. L’endeuillé s’approprie ainsi certains intérêts ou certaines activités de ce dernier. Elle peut également ressentir les mêmes peines que celui-ci voir des symptômes semblables. On parle d’identification par projection lorsque la personne en deuil souhaite que son conjoint ou que son enfant reprenne le rôle du mort. Le souhait de vouloir mourir fait aussi partie de ce phénomène d’identification mais il n’est pas lié à des envies suicidaires. La personne éprouve simplement le désir d’être soulagée de sa douleur et de rejoindre son proche dans l’au-delà (Keirse, 2005, p.34-35) .
La dernière tâche suppose d’accorder une nouvelle place au proche décédé et de reprendre goût en la vie. Cela ne veut pas dire qu’il faut tirer un trait sur le défunt et cesser de l’aimer bien au contraire ! On va peu à peu centrer notre attention dans d’autres domaines du quotidien. On va rependre confiance en la vie et en notre entourage tout en gardant bien ancré en nous, le souvenir du disparu. Pour de nombreux survivants, il est difficile d’apprécier de nouvelles personnes et de trouver un nouveau sens à la vie, par peur de manquer de respect au défunt. D’autres, se sentent angoissés lorsqu’ils sont sur le point de créer de nouveaux liens par peur que ceux-ci ne soient brisés (Keirse, 2005, p.35). Ne pas être capable d’arriver au terme de cette tâche, signifierait qu’il n’est plus possible de créer du lien, d’aimer la vie ou le monde environnant. Pour un grand nombre d’endeuillés, cette tâche s’avère très compliquée et le processus de deuil peut s’en trouver paralysé. Ce n’est que bien des années après, qu’ils prendront conscience que leur vie s’est figée par le décès de leur proche (Keirse, 2005, p.36).
L’achèvement de ce travail de deuil survient lorsque les quatre tâches évoquées plus haut, sont réalisées. Il est délicat de donner avec certitude la durée de ce processus. En effet, cela dépend de différents facteurs tels que la relation qu’entretenait l’endeuillé avec le défunt, les modalités et la précocité de la mort, l’accompagnement dont a bénéficié la personne suite au décès, la façon dont elle a été mise au courant de ce dernier ainsi que ce qui a pu être mis en place en amont de la perte. On remarque que tous ces facteurs ne nous permettent pas de poser un temps limite, nécessaire pour mettre un terme au processus de deuil. Cela peut prendre une année, deux ans, voire plus pour accepter le décès d’une personne proche (Keirse, 2005, p.36). Si l’on se penche sur l’enfant, Daniel Oppenheim écrit qu’il sera capable d’entamer un processus de deuil au moment où il intégrera que la mort est définitive et qu’elle ne peut de ce fait pas être prévisible ou empêchée. Avant qu’il ne soit en mesure d’appréhender cela, le décès de l’un de ses proches, est vécu par l’enfant comme une absence ou comme une perte (Oppenheim, 2007 p.120).
1. Introduction |