Par l’intermédiaire de ce mémoire, nous aimerions aborder une problématique actuelle qui concerne l’entier de notre société: la division sexuée dans le domaine de l’orientation professionnelle. Il s’agit bien entendu d’une vaste thématique de laquelle de nombreuses recherches peuvent découler. Dans le cadre de cette étude, nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement à la documentation (présentation des différents métiers) du Service de l’orientation professionnelle suisse.
De nombreuses recherches ont analysé, sous l’angle de la représentation des genres, le contenu des manuels scolaires, de la littérature jeunesse, etc. Mais aucune d’elles ne s’est penchée sur le contenu de la documentation fournie par le Service de l’orientation professionnelle.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons décidé de nous placer uniquement du point de vue des jeunes filles. Cette décision a été basée sur ce que nous avons constaté à la lecture des résultats de l’enquête «Choix 2010» du Service cantonal vaudois de recherche et d’informations statistiques. Cette enquête démontre que le choix professionnel des filles s’établit dans un éventail de métiers plus restreint que celui des garçons. La moitié des choix féminins est concentrée sur quatre professions (employée de commerce, gestionnaire de commerce de détail, assistante en pharmacie et coiffeuse), tandis que la moitié des choix des garçons se fait parmi onze métiers. Notre société permet à chacun et chacune de pratiquer le métier qu’il/elle souhaite; malgré cette grande liberté de choix, les filles et les garçons continuent de choisir des métiers traditionnellement attribués à leur sexe.
Sur cette thématique, le Service de l’orientation professionnelle tient le discours suivant: «Pendant longtemps, certains métiers exigeaient force physique et endurance. Avec la mécanisation, l’évolution de l’outillage et l’automatisation, la situation a bien changé et la très grande majorité des professions peut être exercée autant par des hommes que par des femmes. Au cours des étapes du choix professionnel, il serait regrettable d’écarter certains métiers en croyant qu’ils sont trop masculins ou trop féminins» (site internet du Service de l’orientation, rubrique: professions au masculin et au féminin).
En visionnant quelques-unes des vidéos de présentation (de métiers typiquement masculins) issues de leur site internet, nous avons constaté que les images montrées ne semblaient pas chercher à attirer les jeunes filles. Par exemple, dans certaines professions généralement attribuées aux hommes, uniquement des travailleurs de sexe masculin étaient présentés; il est peut-être difficile pour une jeune fille de se projeter dans de tels métiers sans pouvoir observer des «modèles» féminins. Bien entendu, cette constatation se base seulement sur quelques vidéos. Cependant, cela nous a quelque peu intriguée et nous souhaitons aller plus loin dans cette recherche en analysant l’ensemble des vidéos des métiers typiquement masculins, afin de savoir si ces dernières offrent aux filles une vision des professions qui pourraient correspondre à leurs critères de choix .
Nos motivations dans la réalisation d’une telle recherche proviennent également du fait que nous avons nous-même été l’une de ces jeunes filles qui a dû, à la fin de sa scolarité obligatoire, choisir un métier. Après de longues heures passées à «fouiller» le site internet du Service de l’orientation professionnelle (lecture des descriptions de métiers, visionnage de vidéos, etc.) nous avons opté pour le métier d’employée de commerce (comme 1ère profession), puis par la suite pour celui d’enseignante. Ayant toujours été une enfant très manuelle et créative, nous nous sommes demandée pourquoi notre choix s’était porté sur ces métiers plutôt que sur des professions manuelles telles qu’ébéniste, peintre ou ferblantière. À ce jour, nous n’arrivons toujours pas à expliquer les raisons de cette décision. Était-ce une peur de «transgresser» les normes sociales? Nous a-t-il manqué, à ce moment-là, des «modèles» de femmes pratiquant des métiers manuels? …
La présente étude poursuit ainsi l’objectif suivant: déterminer dans quelle mesure, au travers de ses vidéos de présentations des métiers, le Service de l’orientation professionnelle favorise la mixité ou bien contribue à la division sexuée du monde professionnel.
Cette thématique est indirectement liée à l’enseignement, puisque l’école est l’un des principaux agents socialisateurs. Dès l’école enfantine, l’élève intériorise les normes et les valeurs de la société à laquelle il appartient. En effet, un enfant naît sans aucune notion culturelle ou sociale; les parents, puis par la suite l’école, vont les guider pour leur permettre de s’adapter à leur nouvel environnement. Le thème de cette recherche prend encore plus de sens durant le cycle d’orientation, car l’une des tâches de l’enseignant va être d’accompagner le mieux possible ses élèves dans leur choix professionnel.
Cette recherche va ainsi nous permettre d’élargir nos connaissances sur le concept de genre et son impact sur le futur professionnel des élèves. Il nous semble primordial que l’école se doive de contribuer à la promotion d’une égalité parfaite entre les sexes et à modifier les représentations stéréotypées qui continuent de diriger certains comportements et choix d’élèves. Nous allons aussi pouvoir découvrir le fonctionnement du processus d’orientation chez les jeunes ainsi que leurs critères de choix. Cela nous permettra par la suite de mieux aider et guider les élèves dans leur réflexion quant à leur avenir professionnel.
Afin de mieux comprendre notre sujet d’étude, il nous semble essentiel de donner, tout d’abord, un bref aperçu historique de l’insertion professionnelle de la femme en Suisse. La situation actuelle de la femme s’est construite progressivement grâce à de nombreuses luttes féministes. Néanmoins, «le travail féminin n’est pas une nouveauté: les historiens rappellent que les femmes ont toujours travaillé, sur les exploitations agricoles, dans les boutiques ou les ateliers des artisans» (Etienne et al, 2004, p. 216). Elles gagnaient le salaire minimum en comparaison aux hommes, car la société préférait valoriser la force physique. Les options professionnelles des femmes étaient limitées en raison de l’absence de filière de formation pour les filles. De plus, de nombreux syndicats et associations d’employés étaient contre le travail de la femme, car ils y voyaient une concurrence à la main-d’œuvre masculine. Face à cela, on voit apparaître des syndicats féminins: Union des paysannes suisses, Union suisse des ouvrières, etc. D’après Sutter (1999),
les initiatives prises en faveur de l’amélioration de l’éducation et de la formation professionnelle des jeunes femmes remontent aux années 1969 et proviennent des milieux réformateurs. Elles ne sont pas sans rapport avec les difficilutés croissantes de la bourgeoisie, qui n’arrive plus à fournir à ses filles un entretien conforme à leur rang et trouvent aussi un écho dans le mouvement féministe dont les efforts d’émancipation vont dans le même sens (p. 4, partie: formation professionnelle des femmes).
Dès lors, on voit apparaître dès la fin du 19ème siècle de plus en plus de formations destinées aux jeunes filles (1837: première institution de formation des institututrices à Lausanne; dès 1868: la Poste forme des filles au métier de postière; dès 1879: à Zürich, on commence des cours de formation pour les jardinières d’enfants; 1879: la première école ménagère suisse ouvre ses portes à Coire, etc.) (Sutter, 1999, p. 5-6, partie: formation professionnelle des femmes) .
En 1910, 47 % des femmes de 15 à 64 ans travaillent, dont deux tiers sont célibataires. Ensuite, on constate une baisse du travail féminin. La proportion des femmes qui ont une activité professionnelle descend à 45 % en 1920 puis à 35 % en 1941. Cette chute serait due au fait que les familles cherchent à se conformer au modèle familial bourgeois de l’époque prônant un seul salaire. Ce modèle sera dominant en Suisse durant de nombreuses années. Grâce à des mouvements féministes, les formations professionnelles pour les filles se développent. Par exemple, pour sensibiliser la société aux conditions précaires du travail féminin, on organise en 1928 et en 1958 la «Saffa» (Schweizerische Ausstellung für Frauenarbeit) qui est une exposition nationale suisse pour le travail féminin.
Un grand changement apparaît entre 1960 et 1970. En 1971, 42,5 % des femmes travaillent. On relève également que l’état civil d’une femme définit nettement moins son insertion dans le marché du travail. De surcroît, on constate que le travail à temps partiel augmente chez les femmes; il faut savoir qu’en Suisse, nous avons l’un des taux les plus élevés d’Europe en matière de travail à temps partiel.
De nos jours, le taux d’activité des femmes (de 15 à 64 ans) est de 77,2 % (chiffres des statistiques suisses 2012). L’Office fédéral de la statistique suisse fait le bilan suivant concernant la situation actuelle du travail féminin:
Hommes et femmes sont toujours plus nombreux à travailler à temps partiel. Les femmes restent cependant proportionnellement beaucoup plus nombreuses que les hommes à exercer une activité professionnelle à temps partiel (55,2 % contre 13,4%). Les femmes gagnent en moyenne 18,4 % de moins que les hommes (site internet de l’Office fédéral de la statistique).
1. INTRODUCTION |