En Suisse, la sage-femme exerce principalement son métier en maternité, dans des institutions, entourée de corps de métiers divers tels que les gynécologues, les pédiatres ou encore les anesthésistes avec qui elle collabore quotidiennement. En salle d’accouchement, ses prises en charge et ses actions sont guidées par des protocoles institutionnels propres à chaque lieu. Le partogramme, outil permettant le suivi du travail de la femme, est utilisé depuis de nombreuses années dans les maternités de notre pays mais également dans la pratique indépendante de la sage-femme et dans les pays du monde entier. Ce graphique a été imaginé en Amérique dans les années cinquante dans le but principal de diminuer la morbidité et la mortalité maternelle et néonatale [traduction libre] (Friedman, 1959, p. 94). Son utilisation a été répandue rapidement à l’échelle mondiale et modifiée par plusieurs personnalités de l’obstétrique dont il sera question dans ce travail.
En 2014, la Suisse compte environ 85’000 naissances par année. De nos jours, une majorité de femmes choisit de mettre au monde son enfant en milieu hospitalier, image d’une certaine sécurité et d’un accompagnement professionnel. Depuis de nombreuses années, l’avancée de la médecine a permis une réduction de la mortalité maternelle et périnatale. La mortalité infantile suisse a également nettement diminuée au cours du siècle dernier. En 1875, « 17’900 bébés n’atteignaient pas leur premier anniversaire, alors qu’aujourd’hui leur nombre avoisine 300 » (Office Fédérale de la Statistique [OFS], 2016). Actuellement, la mortalité néonatale concerne essentiellement des enfants de très faible poids de naissance avec une prématurité importante (OFS, 2015). D’un point de vue mondial, 830 femmes meurent encore chaque jour de causes évitables liées à l’accouchement ou à la grossesse. Ces cas sont recensés principalement dans des pays en voie de développement (Organisation Mondiale de la Santé [OMS], 2015).
En tant qu’étudiantes sage-femme, nous nous sommes très vite retrouvées confrontées à l’utilisation du partogramme au cours de nos stages effectués dans différents hôpitaux suisses mais également à l’étranger, notamment dans une clinique de l’île de la Réunion (France) ou encore dans une maison de naissance aux Philippines. Pourtant, notre première interrogation s’est portée sur l’utilisation très fréquente d’ocytocine de synthèse lors d’accouchement par voie basse. Nous avons constaté qu’en milieu hospitalier, peu de femmes, surtout nullipares, accouchent spontanément sans l’introduction d’une perfusion permettant de stimuler les contractions et d’accélérer le travail. Les premières recherches effectuées sur la thématique de l’utilisation d’ocytocine de synthèse nous ont guidées sur l’emploi du partogramme qui dicte la mise en place d’interventions. Dès le début du travail actif de l’accouchement, la vitesse de dilatation cervicale de la femme doit suivre une norme, généralement d’un centimètre par heure (1 cm/h), défini par les institutions. Si cette norme n’est pas respectée, le professionnel se doit d’agir afin d’accélérer ce travail et d’éviter une stagnation de la dilatation, indépendamment du bien-être maternel et fœtal.
En fonction des lieux ou selon les habitudes des sages-femmes, l’utilisation du partogramme varie. Beaucoup d’actions et d’interventions telles que la rupture artificielle des membranes (RAM), l’introduction d’une perfusion d’ocytocine de synthèse, l’instrumentation d’un accouchement par voie basse ou encore la décision d’une césarienne, sont mises en place en fonction de la vitesse de dilatation cervicale de la femme qui est représentée sur le partogramme. Nos expériences partagées montrent que rarement le choix de la femme est pris en compte dans ce type de décisions qui découle de protocoles établis par les institutions. Pourtant, au cours de notre formation, l’ « empowerment » de la femme est souvent mis en avant. Le choix libre et éclairé de celle-ci devrait être au centre des préoccupations des sages-femmes. Ces divers éléments nous ont grandement questionnées et amenées à réfléchir sur ce sujet en vue de réaliser ce travail de Bachelor. Le partogramme dicte-il réellement les pratiques des sages-femmes ? Quelles conséquences cet outil a-t-il sur le rôle de la sage-femme et sur le vécu de la femme en travail ? La sage femme semble se retrouver au cœur d’un dilemme lorsqu’elle exerce dans un milieu institutionnel. D’un côté les protocoles hospitaliers guident sa pratique, d’un autre, sa philosophie de soins et ses valeurs prônent une approche centrée sur la femme.
Selon Marshall et Raynor (2014), le partogramme, outil utilisé en salle d’accouchement, permet de reporter graphiquement la progression du travail de l’accouchement. Il s’agit d’une représentation de la dilatation cervicale au fur et à mesure de l’évolution du travail. Il facilite l’identification précoce d’éventuelles déviations de la norme. Actuellement, ce graphique contient différents éléments tels que le rythme cardiaque fœtal, les signes vitaux maternels, la descente de la présentation fœtale, l’effacement et la dilatation du col de l’utérus, la couleur du liquide amniotique, les urines maternelles ou encore l’administration de médicaments [traduction libre] (p. 338).
Selon Lansac, Descamps et Oury (2011), le partogramme se définit par « l’enregistrement graphique de l’évolution du travail, de l’accouchement et des données de surveillance maternelle et fœtale qui s’y rapportent » (p. 56). Il s’agit d’un outil « simple, objectif, reproductible et peu coûteux qui permet d’avoir une vue synthétique de la marche du travail et améliore la qualité des soins » (p. 54). Il est représenté par un diagramme cartésien : sur l’axe des abscisses se trouve le temps et sur l’axe des ordonnées est placés les centimètres de dilatation et le degré de la descente de la présentation fœtale. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, l’utilisation du partogramme implique la pose du diagnostic du travail puisque ce diagramme ne concerne pas la phase de latence. Selon Lavender, Hart et Smyth (2008), cet outil constitue l’une des plus importantes avancées médicales ayant amené à une certaine sécurité de l’accouchement [traduction libre] (p. 4). Il reflète également la qualité des soins et fait actuellement partie intégrante du dossier médical (Friha, 2014). Du côté des professionnels, le partogramme peut être utilisé comme support, en cas de procès par exemple, afin de permettre aux experts « de retracer les événements marquants du travail et d’émettre ainsi un jugement éclairé » (Friha, 2014, p. 5).
En abordant la thématique du partogramme, il semble important de distinguer les trois phases traditionnellement citées pour parler du processus de l’accouchement. Ces trois phases peuvent être précédées d’une phase de latence, correspondant à une dilatation cervicale inférieure de trois-quatre centimètres selon les auteurs. La première phase du travail actif débute au moment de la pose du diagnostic de début de travail (généralement dès une dilatation de trois à quatre centimètres) et dure jusqu’à une dilatation cervicale complète. Débute, ensuite, la seconde phase du travail qui dure jusqu’à la naissance de l’enfant. Finalement, la troisième phase du travail concerne la délivrance placentaire [traduction libre] (Fraser & Cooper, 2009, p. 459).
En 1954, Emanuel Friedman est le premier obstétricien américain à avoir conçu un outil permettant le suivi du travail de l’accouchement et représentant la progression normale du travail. Son objectif est de diminuer le taux de mortalité néonatale important à cette époque, causé notamment par des accouchements de longue durée (Dorneus, 2011). Afin de réaliser ce nouvel outil, Friedman a effectué, en 1954, une étude permettant l’évaluation de la progression du travail de cent femmes nullipares [traduction libre] (Friedman, 1954, p. 94). Le premier partogramme, appelé cervicographe contient deux phases distinctes : la phase de latence et la phase active. A ce moment, la phase de latence est définie comme le début du travail de l’accouchement. La femme ressent des contractions régulières qui peuvent modifier, dans certains cas, le col. La phase active est définie comme le début de la deuxième phase du travail, caractérisée par une dilatation active du col [traduction libre] (Friedman, 1959, p. 95). Il divise la phase active en trois étapes distinctes :
– Une phase d’accélération : augmentation continue de la dilatation de deux-trois centimètres à cinq centimètres,
– Une phase dite de pente maximale : dilatation rapide de cinq à huit ou neuf centimètres et
– Une phase de décélération qui précède l’expulsion [traduction libre] (Friedman, 1959, p. 96).
1. Introduction |