Démystifier l’ordinateur et son «intelligence»
Ceux qui, par exemple, il y a 20 ans, ont du apprendre le langage Basic (ou tout autre langage de programmation) pour obtenir quelques menus services de leur ordinateur le savent bien : un ordinateur ne fait jamais que ce que nous lui demandons, et seulement si nous le lui demandons dans les formes. Il n a pas de vie ou d intelligence propre. Pourtant, aujourd’hui, grâce aux progrès des pré-configurations, de la programmation des systèmes d exploitation et des logiciels d application, nous avons souvent l illusion du contraire. Ainsi, lorsque je reviens à la ligne, il met automatiquement une majuscule; il souligne mes fautes d orthographe de rouge ; il suffit de raccorder une imprimante pour qu’elle s installe et que je puisse l utiliser, etc.
La connaissance et la maîtrise de l’informatique implique bien entendu de contrer cette vision naïve, quoique très compréhensible, de l ordinateur, pour rappeler son statut de machine. C est la conception globale du rapport homme-machine qui est en jeu. D un point de vue philosophique, nous pouvons mettre en valeur toute l intelligence humaine qui a permis aux scientifiques, à partir du seul courant électrique, de créer des machines capables de tant de choses. Comme d un point de vue plus pratique, il conviendra de faire prendre conscience que c est l utilisateur qui peut et doit tenter de maîtriser ce qui se passe. En effet, s il n arrive pas à produire ce qu il souhaite, ce n est pas que l ordinateur «ne veut pas». La machine n a pas de volonté propre, elle ne peut d ailleurs saisir nos intentions. Disons simplement que la vraie intelligence se trouve chez les personnes qui ont conçu les machines et les programmes, ainsi que chez celles qui les utilisent. Quant à l intelligence de l ordinateur, elle s appuie sur deux grandes forces et en cela, surpasse le cerveau humain: une capacité de calcul ainsi que de mémoire de stockage énorme et quasiment infaillibled une part, une très grande rapidité d autre part. Ce n est pas rien, bien sûr, mais ce n est guère plus que ça.
Cette réflexion reviendra régulièrement au cours des différents apprentissages.
Prenons ici l exemple de la correction orthographique. Les apprenants sont souvent étonnés, voire un peu vexés, que leur nom se souligne de rouge alors qu il est correctement orthographié, par exemple s ils s appellent Mohamadou D iallo… De même avec leur commune, lorsqu ils habitent Molenbeek. Ils se sont, logiquement, construit une représentation selon laquelle l ordinateur souligne ce qui est mal écrit, et que donc ce qui n est pas souligné est nécessairement juste. En tant que formateurs, nous en profitons pour rappeler que l ordinateur ne comprend pas le français, ni aucune autre langue humaine. Pas plus qu il n a de notions d orthographe, ni même la notion du juste et du faux. Comment procède-t-il alors? Des êtres humains ont mis dans sa mémoire une liste de mots français et il les a stockés (sa première force c est en effet sa capacité de mémoire). Lorsque que nous écrivons un mot, sa deuxième force entre en jeu, la rapidité. Il va très rapidement vérifier s il trouve le même mot, exactement écrit de cette manière, dans cette liste. Sil ne l y trouve pas, il souligne en rouge.
Des images pour comprendre, ou quel vocabulaire adopter
Comme tout autre domaine de connaissance, l informatique charrie un vocabulaire technique spécifique. Certainement pas toujours simple pour des personnes non francophones, il ne l est souvent pas non plus pour des personnes francophones lesquelles, au quotidien, n ont pas recours à une langue d une telle précision. D autant moins simple que les choses nommées sont difficiles à se représenter mentalement
: un programme, un site, un lien, Nous-mêmes, formateurs, ne maîtrisons pas toujours ces différentes notions, ce qui ne nous empêche d ailleurs pas d utiliser un ordinateur de manière plus ou moins efficace.
Faut-il dès lors les bombarder de «curseur», «icône», «barre d outils», «italique» alors qu on peut tout aussi bien dire «petite ligne qui clignote», «image», «ligne avec des petits dessins
», «écriture penchée»,? Nous avons décidé que oui, et nous essayons de nous tenir à cette décision, même si dans le feu de l action, devant des visages perplexes, il nous arrive de retraduire ce français technique en français de base. Mais si nous insistons sur le recours à un certain vocabulaire, nous utilisons également volontiers des images pour faire comprendre certaines notions. Cela vous paraîtra peut-être parfois enfantin. Cependant nous pensons que c est un bon outil de compréhension qui n infantilise pas si nous nous attachons à y accrocher ensuite le vocabulaire technique adéquat.
Passer à table: à propos des modes d apprentissage
De même qu’il est démodé d apprendre à nager sur un banc de gymnastique, de même nous pouvons trouver naturel qu’un apprentissage informatique se passe exclusivement en situation, devant les machines. Pourtant -demandez-le à quiconque en a fait l expérience – si vous placez un groupe de 6 personnes devant plusieurs ordinateurs et que vous tentez alors un apprentissage nouveau, au bout de dix minutes, vous êtes complètement dépassé car pendant que vous étiez parti dépanner un sous-groupe qui n avait pas compris ce que vous aviez demandé, un autre a voulu aller plus loin et s est perdu dans des endroits où vous-même n avez jamais mis les pieds, tandis qu’un petit malin qui s y connaît déjà un peu s est mis à jouer aux cartes et vous courez d une machine à l autre en tentant de rassembler vos esprits et vos apprenants.
Un ordinateur, par son interactivité, invite sans cesse l’apprenant à lire, à cliquer, et va jusqu’à l hypnotiser parfois. Le formateur est un peu le parasite de cette relation à deux, apprenant-machine, et il doit ruser pour garder sa place. La gestion mentale nous apprend que la perception doit parfois s interrompre afin que puisse se faire l évocation mentale de ce qui a été perçu. Il s agit d une étape indispensable au reste du fonctionnement intellectuel (mémorisation, compréhension, réflexion, ). Or l ordinateur tend, au contraire, à saturer la personne de perceptions. Il nous arrive donc, par exemple, d éteindre autoritairement l écran pour une explication. Ainsi la personne se concentre, retourne en elle-même pour organiser l information en évoquant son souvenir de l écran et des manipulations nécessaires, avant de reprendre la manipulation concrète.