Régime soviétique et la dislocation de l’URSS

Régime soviétique et la dislocation de l’URSS

RETOUR SUR LE MODELE SOCIAL DE L’URSS

La compréhension des changements sociaux qui accompagnent la transition vers l’économie de marché en Russie exige de faire un bref retour sur l’expérience soviétique et notamment de revenir sur les pratiques en termes de politique sociale. Dans cette optique, nous présentons les aspects idéologiques guidant la politique sociale soviétique, puis regardons comment ceux-ci se traduisent dans la pratique. Dans un second temps, nous proposons une revue de la littérature visant à mettre en évidence quelques faits stylisés sur les conditions de vie en URSS. Sachant que les autorités soviétiques ont toujours affirmé que le système socialiste, à l’inverse du système capitaliste, conduirait à l’éradication de la pauvreté et de l’inégalité, il s’agit plus précisément de discuter de l’ampleur de ces deux phénomènes.

La politique sociale de l’Union Soviétique : de l’idéologie à la pratique

La politique sociale de l’URSS s’articulait autour de deux grands axes, à savoir, d’une part, la politique de l’emploi et la question sous-jacente des rémunérations, et d’autre part, la politique de protection sociale à travers l’Etat Providence.

Emploi et salaires

Le système économique de l’URSS était fondé sur deux grands principes : la propriété publique et collective des moyens de production et la gestion de l’allocation des ressources et de la production par une planification autoritaire et centralisée. En effet, compte tenu des volontés du parti communiste et des informations recueillies auprès des entreprises, le Gosplan, organisme chargé d’établir le plan, définissait les objectifs de production et les dotations en facteurs de production pour chaque branche et chaque région, la cohérence étant assurée par la méthode des balances . Les ministères de branche étaient ensuite chargés de transmettre ces informations aux différentes entreprises. Ce fonctionnement centralisé et administré de l’économie, supposant l’absence de marchés concurrentiels, signifiait que la structure des prix internes était déterminée par le planificateur. L’absence de règles concurrentielles concernait notamment le marché du travail. Dans un système socialiste, la demande de travail est sous le contrôle des autorités centrales qui, en fonction des objectifs de production du plan, déterminent l’allocation des emplois entre les différentes branches. En URSS, la définition du travail reposait sur deux grands principes inscrits dans la Constitution de 1977 [Matthews (1986)]. D’une part, le travail étant considéré comme un droit, l’Etat soviétique s’engageait à garantir l’accès à un emploi à chaque citoyen. D’autre part, le travail était un devoir pour tous qui marquait l’adhésion de l’individu à l’idéologie socialiste et constituait en ce sens le premier vecteur de subordination des individus.
Du fait de l’absence de marché du travail où se confrontent librement une offre et une demande, la détermination des salaires était placée sous le contrôle de l’Etat. En conséquence, le salaire officiel est fixe, garanti et non négociable et donc le principe d’emploi garanti doit être assimilé à « l’assurance de percevoir un salaire d’un montant déterminé, fût-il faible » [Andreff (1993), p. 245]. En théorie, cette gestion administrée devrait également avoir une influence égalitaire sur la distribution des salaires. Pourtant, contrairement à une idée reçue, la structure des salaires de l’URSS ne reposait pas sur un principe égalitariste. Dans la « Critique du programme de Gotha » publiée en 1875, Marx présente les différences entre socialisme et communisme. Il distingue « le communisme gouverné par la règle « à chacun selon ses besoins », et le socialisme soumis au principe « à chacun selon son travail » que Lénine traduisait par « qui ne travaille pas ne mange pas » » [Seurot (1989), p. 229]. Selon ces principes idéologiques, une situation de véritable égalité n’est possible que dans un système communiste, c’est-à-dire à partir du moment où les problèmes de production ont été résolus et où les ressources sont suffisamment abondantes pour rémunérer chacun selon ses besoins. Le système socialiste n’étant en revanche qu’une étape intermédiaire dans la marche vers le communisme, la doctrine soviétique ne fait pas de la recherche de l’égalité un objectif fondamental. Ainsi, les salaires étaient, dans une certaine mesure, proportionnels au travail, justifiant par là même la persistance d’écarts dans les rémunérations [McAuley (1979)]. Le système salarial soviétique était fondé sur une échelle de salaires déterminée par les autorités centrales, articulée autour de trois composantes : (i) un taux de base spécifique à chaque branche de l’économie ; (ii) des multiplicateurs appliqués pour les tâches les plus complexes ; (iii) des coefficients spécifiques pour le travail de nuit, les tâches pénibles, les régions où le coût de la vie est plus élevé, etc. [Seurot (1989)] . Cette rémunération de base pouvait être complétée par des primes accordées lorsque, par exemple, les objectifs de production ou de productivité prévus par le plan étaient dépassés . Pour être complet, il convient de signaler que les impôts sur les revenus salariaux étaient très faibles, le taux de la tranche la plus élevée étant de 13 % seulement [Seurot (1989)]. En d’autres termes, l’outil fiscal ne jouait pas le rôle d’aplatissement des salaires, comme dans les pays occidentaux. Ainsi, la politique salariale en URSS dépendait plus de la stratégie de production que d’objectifs sociaux et l’échelle des salaires, fixée par le pouvoir central, tenait compte du niveau des qualifications, des secteurs prioritaires et, dans une certaine mesure, de la pénibilité des tâches. La politique sociale de l’URSS reposait donc davantage sur l’Etat Providence, chargé de la répartition secondaire, que sur le système de rémunération.

L’Etat Providence soviétique

Dans la « Critique du Programme de Gotha », Marx distinguait le « fonds nécessaire à l’entretien de ceux qui sont incapables de travailler » et « ce qui est destiné à satisfaire les besoins de la communauté : écoles, installations sanitaires, etc. » [Marx, Engels (1966), pp. ]. L’Etat Providence soviétique, que les autorités assimilaient aux dépenses de consommation sociale, reprenait en grande partie cette distinction en s’articulant autour de deux grandes composantes, à savoir un système d’assurance sociale accordant des transferts monétaires à des catégories d’individus particulières et toute une panoplie de services subventionnés ou gratuits [McAuley (1979)].
La loi de 1956 structurant le système de transferts publics prévoyait un ensemble de transferts monétaires tels que les pensions (vieillesse, invalidité et réversion notamment), les congés maladie, les primes de naissance et de décès, une allocation étudiants, une allocation familiale, un supplément de revenu familial. En 1970, la part des dépenses allouées aux transferts publics dans le PIB s’élevait à 7,8 %, soit à un niveau inférieur à celui de la plupart des pays occidentaux. A titre de comparaison, à la même date, cette proportion était de 10 % pour le Royaume Uni et de 9,7 % pour les Etats-Unis [George, Manning (1980)]. En fait, cet écart s’explique par l’absence de mécanisme d’assistance sociale en Union Soviétique, c’est-à-dire de transferts délibérément ciblés sur les plus démunis. En effet, le système de transferts répondait davantage à une logique d’assurance sociale puisqu’il visait essentiellement à fournir des aides pour les personnes qui étaient dans l’incapacité de travailler, du fait d’une situation de vieillesse, de maternité, d’invalidité, de maladie, de veuvage, etc. [Matthews (1986)]. La politique de transferts monétaires ne reposait donc pas sur une idée d’assistance ayant pour objectif d’accroître les moyens de subsistance des plus familles les plus modestes , mais cherchait davantage à accorder une aide aux familles dans des circonstances spécifiques, nécessitant l’interruption du travail. Autrement dit, le système d’assurance sociale s’inscrivait dans le prolongement du système salarial et répondait à ce titre au principe socialiste « à chacun selon son travail ».
La logique était différente pour l’accès aux services, le principe d’attribution intégrant davantage les besoins des individus [Seurot (1989)]. D’une part, certains services collectifs publics, tels que l’éducation et la santé , étaient gratuits et pris en charge intégralement par l’Etat. Ainsi, les dépenses sociales liées à l’éducation et à la santé représentaient 10,1 % du PIB de l’URSS en 1970. Le poids de ces dépenses dans le PIB du Royaume Uni, à la même date, s’établissait à seulement 9 % [George, Manning (1980)]. D’autre part, de nombreux services étaient subventionnés par les entreprises d’Etat, et il s’agit là d’une spécificité des pays socialistes. En effet, celles-ci exerçaient un certain nombre de fonctions sociales, sous forme notamment de prestations en nature, et permettaient aux salariés et à leur famille un accès privilégié à de nombreux services : logement, crèches et garderies, chauffage, approvisionnement à prix subventionnés, transport, etc. [Crosnier (1993), Klugman (1997)].

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