DECENTRALISATION DES SYSTEMES DE SANTE : QUELQUES REFLEXIONS A PARTIR D’EXPERIENCES ETRANGERES
Nous étudions, au sein de l’IRDES, le mode de fonctionnement du système de santé français, mais nous analysons également ce qui se passe au-delà de nos frontières. En effet, sans avoir pour volonté de transposer, ce qui n’est ni possible, ni souhaitable, il est toujours intéressant d’étudier la manière dont sont analysés et traités des problèmes similaires dans d’autres pays.
L’introduction consistera donc à faire un tour d’horizon de la décentralisation des systèmes de santé en général dans les différents pays. Nous ne rentrerons pas dans le détail de l’organisation, et notamment il ne sera pas fait d’allusion au secteur de l’odontologie, car il se trouve généralement compris dans une organisation globale des soins et de pilotage du système.
J’essayerais de tirer de cette analyse quelques éléments de réflexion sur notre propre système de santé. Après une clarification sémantique rapide sur le terme même de « décentralisation », je souhaiterais faire passer trois idées essentielles :
Les formes de décentralisation sont très variées selon les pays, et les manières de concevoir des délégations de responsabilités à des acteurs périphériques sont nombreuses ;
Il est assez difficile de déterminer si, chez nos voisins, la décentralisation résout les problèmes ; les résultats ne sont pas toujours conformes aux attendus, et nous constatons qu’il y a bien d’autres éléments que le niveau de pilotage du système (ou sa forme) qui interviennent dans les performances d’un système de santé ;
Il s’agit d’un chantier permanent dans tous les pays : on décentralise, on recentralise, on modifie l’organisation. Nous constatons donc que chacun est à la recherche d’un système qui permette de piloter au mieux l’organisation des soins, qui est complexe.
Afin de clarifier les choses, je ne limite pas la signification du terme « décentralisation » au sens juridique strict de « transfert de compétences à des collectivités élues », par opposition par exemple à « déconcentration ».
Ma vision est beaucoup plus large : elle va de la décentralisation au sens indiqué ci-dessus, également appelée « dévolution » dans la littérature internationale, à des déconcentrations administratives et à des formes plus compliquées et que l’on pourrait qualifier de « décentralisation technique ou professionnelle » ou de « délégation à des acteurs collectifs ».
Il existe des formes variées de décentralisation et nous allons explorer les modèles suivants :
Des modèles de dévolution politique, plus ou moins récents selon les pays,
Des modèles de décentralisation administrative,
Des modèles de décentralisation vers les acteurs mêmes du système de santé que sont les professionnels ou les structures de soins,
Des modèles d’assurance sociale qui consistent à déléguer des responsabilités à des acteurs collectifs (médecins, caisses), qui jouent un rôle dans le système.
Nous allons examiner deux exemples de dévolution, afin de voir comment ils fonctionnent dans différents pays.
Le premier exemple concerne les pays scandinaves. Le Danemark a été choisi, mais nous pourrions prendre la Suède, la Norvège ou la Finlande, qui ont, à des degrés divers, des systèmes relativement similaires ; ou du moins, qui l’étaient encore tout récemment, car des réformes ont conduit à des changements très profonds dans ces pays.
Le Danemark est un petit pays de 5 millions d’habitants composé de 14 comtés. Le système est entièrement géré et financé par les comtés à partir d’impôts locaux, une péréquation nationale permettant de compenser les inégalités de richesses ou de besoins. Le système est donc entièrement aux mains des comtés, qui sont plutôt l’équivalent de nos départements que de nos régions. Dans ces pays, a eu lieu au cours des années 1990, un transfert allant dans le sens d’une décentralisation encore plus grande : les municipalités se sont vues transférer non seulement la responsabilité des services sociaux (personnes âgées ou handicapées), mais également la responsabilité des services de soins de longue durée. Cette délégation va donc plus loin, par exemple, que celle conférée aujourd’hui aux Conseils généraux français.
ORGANISATION DE LA SANTE DENTAIRE AU QUEBEC
Au cours de ma présentation, vous serez invités à visionner de courts extraits tirés d’un bulletin de nouvelles de la Société Radio-Canada portant sur la santé dentaire au Québec. Voici le 1er extrait :
« Au Québec, la gratuité des soins dentaires est limitée aux enfants de moins de 10 ans. Saviez-vous qu’à Montréal, 27 % des enfants vivent au-dessous du seuil de pauvreté, et que c’est chez eux que l’on diagnostique plus de 80 % des caries dentaires ? Et puis il y a les histoires horribles d’enfants de 3 ans, par exemple, qu’il faut totalement édenter. Ce soir, José DUPUIS et Robert VERGE se demandent si le gouvernement ne pourrait pas faire davantage pour éviter la carie ».
Le journaliste termine son introduction par une question portant sur ce que le gouvernement pourrait faire de plus pour traiter le problème de la carie dentaire ? Il ne met pas en doute le rôle des établissements locaux ou des autorités régionales, mais plutôt celui du gouvernement, pour ne pas dire, directement, celui du Ministre de la Santé et des Services sociaux. Il est facile d’attribuer tous les problèmes, ou toutes les solutions, au pouvoir central. Pourtant, la régionalisation implique un partage des responsabilités, et ce, en fonction du rôle de chacun des partenaires régionaux ou locaux.
C’est dans ce contexte que je souhaite présenter l’expérience du Québec en ciblant l’équilibre des forces à privilégier entre la centralisation et la régionalisation.
Ainsi, les buts de ma présentation sont d’analyser brièvement l’organisation des services de santé dentaire au Québec, de préciser les enjeux qui influencent cette organisation et de décrire les orientations privilégiées au Québec en matière de santé dentaire publique. Enfin, de porter à votre attention des éléments nous permettant de répondre aux deux questions suivantes :
Que peut-on faire au niveau national pour supporter la régionalisation ?
Comment faire pour que la santé dentaire publique devienne une priorité gouvernementale dans un contexte où les besoins médicaux sont grandissants et où les finances publiques laissent peu de latitude au gouvernement en place ?
Le Québec a une superficie de 1,7 millions de kilomètres carrés et compte 7,4 millions d’habitants. Sur le plan socio-sanitaire, il est composé de 18 régions, tantôt rurales, tantôt urbaines.
D’une façon générale, la population est concentrée le long de la vallée du Saint-Laurent. En fait, trois régions regroupent plus de 60 % de la population : l’île de Montréal, la région de Laval (au nord de Montréal), et la région de la Montérégie (au sud de Montréal).
Le système de santé et des services sociaux au Québec comprend trois grandes caractéristiques :
Les services de santé et les services sociaux sont regroupés au sein d’une même administration, ce qui permet une approche globale de la santé ;
Il est organisé sur trois niveaux : un niveau central (gouvernement, ministère), un niveau régional et un niveau local ;
L’ensemble du système est sous contrôle public : l’État définit le panier de services, en finance la production et le fonctionnement, et fixe les conditions d’admissibilité à ses programmes.
Quelques dates importantes concernent le système de santé québécois :
1961 : mise en place du programme d’assurance hospitalisation : accès gratuit aux services médicaux en milieu hospitalier,
1971 : mise en œuvre d’un programme universel d’assurance maladie : accès aux services médicaux en cabinet privé,
1997 : implantation d’un programme universel d’assurance médicaments : régime privé ou public offrant une couverture de base pour les médicaments.