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Les conceptions éducatives des professeurs
Au début des années 1990, plusieurs chercheurs ont commencé à s’intéresser aux conceptions éducatives des professeurs. Mentionnons les travaux de Gow et Kember (1993), Prosser, Trigwell et Taylor (1994) et Samuelowicz et Bain (1992, 2001). Cet intérêt pour les conceptions éducatives des professeurs n’a cessé de croître depuis la dernière décennie du 20e siècle (Kane et al., 2002; Kember, 1997; Loiola, 2001).
À partir de l’analyse des réponses obtenues à des questions comme « Quelle est votre vision de l’enseignement ? (Gow et Kember, 1993)», « Qu’est-ce qu’enseigner ? (Samuelowicz et Bain, 1992) », « Qu’est-ce qui vous décrit dans votre rôle de professeur ? (Murray et Macdonald, 1997) » ou « Qu’entendez-vous par enseigner dans cette matière ? (Prosser et al., 1994) », les chercheurs ont utilisé différentes démarches ou méthodologies s’inscrivant dans des recherches de type phénoménologique ou de méthodologies dérivées de cette approche. Leurs intentions étaient de dégager des typologies des conceptions éducatives et cerner les composantes ou dimensions qui caractérisent ces conceptions.
À ce jour, il existe quelques différences ontologiques dans la manière dont les chercheurs entendent ou se représentent les conceptions éducatives (Åkerlind, 2007). Nonobstant les perspectives adoptées, les études descriptives ont démontré qu’il existe une grande variété de conceptions éducatives chez les professeurs (Kember et Kwan, 2000; Prosser et al., 1994; Samuelowicz et Bain, 1992, 2001). Selon Åkerlind (2003), Fanghanel (2007), González (2010) et Lameras et al. (2011), les études sur les conceptions éducatives ont démontré, dans différents contextes, un consensus voulant que les conceptions de l’enseignement puissent être classées, en grande partie selon qu’elles sont centrées sur le professeur et le contenu à enseigner ou selon qu’elles sont centrées sur les apprenants et leurs apprentissages.
Le Tableau 2.1-1 contient une synthèse des résultats des principales études que nous avons recensées sur les conceptions de l’enseignement des professeurs.
Du côté gauche du Tableau 2.1-1, nous retrouvons les conceptions de l’enseignement, que nous qualifions de centrées sur le professeur et le contenu (Kember, 1997), de « magistro-centrées » ou de traditionnelles (Chan et Elliott, 2004; Kwok‐wai Chan, Tan et Khoo, 2007).
Ces conceptions sont partagées par les professeurs qui conçoivent l’enseignement comme la présentation, la communication ou le transfert de connaissances structurées ou non. Pour ces professeurs, elles constituent des exemples ou des modèles à suivre (Pratt, 1992). Pour les porteurs de ces conceptions, les connaissances sont détenues et construites par les professeurs. L’enseignement est orienté sur la matière et les contenus définis par un syllabus ou par les professeurs. Les apprentissages sont mesurés par la quantité de connaissances acquises avec peu de considération de leur compréhension par les étudiants. Au sein de ces conceptions, les étudiants sont considérés comme des destinataires passifs. Il est attendu d’eux qu’ils reproduisent les informations et les connaissances fournies par les professeurs (Demougeot-Lebel et Perret, 2010b). Les connaissances des étudiants ne sont pas considérées (Kember et Kwan, 2000; Loiola et Tardif, 2001; Samuelowicz et Bain, 1992, 2001; Trigwell, Prosser et Taylor, 1994; Trigwell et Prosser, 1996a). En résumé, pour les professeurs détenant ces conceptions, l’enseignement consiste à passer de la matière directement aux étudiants (Pratt, 1992). Ces conceptions de l’enseignement simples et limitées se bornent à un seul élément, le savoir à transmettre (Loiola et Tardif, 2001).
Dans la troisième colonne du Tableau 2.1-1, nous retrouvons les conceptions de l’enseignement, que nous qualifions de centrées sur les étudiants et leurs apprentissages (Kember, 1997) ou de « pédo-centrées » (Chan et Elliott, 2004; Kwok-wai Chan et al., 2007). Ces conceptions sont adoptées par les professeurs 39 pour qui l’enseignement constitue un processus de facilitation des apprentissages des étudiants. L’objectif est davantage centré sur l’apprentissage des étudiants plutôt que sur l’enseignement fait par les professeurs (Postareff, Lindblom-Ylänne, et Nevgi, 2007b). La transmission des connaissances est importante, mais elle ne représente pas l’unique moyen pour faire apprendre les étudiants. Selon ces conceptions, enseigner consiste à faciliter les apprentissages des étudiants en considérant leurs connaissances et il est reconnu que ces dernières constituent le point de départ d’un processus d’apprentissage interactif entre les étudiants et leurs professeurs (Loiola et Tardif, 2001). Ceux-ci encouragent, chez les étudiants, la construction de leurs propres connaissances, par des changements conceptuels pour ultimement devenir des apprenants autonomes. Au sein de ces conceptions, les étudiants sont considérés comme actifs, responsables de leurs apprentissages (Demougeot-Lebel et Perret, 2010b) et doivent développer des habiletés métacognitives (Van Driel et al., 1997). Les professeurs ayant ces conceptions éducatives reconnaissent que les étudiants ne partent pas tous du même point dans leurs apprentissages et que ceux-ci peuvent être faits en collaboration (Chan et Elliott, 2004; Kember et Kwan, 2000; Samuelowicz et Bain, 1992, 2001; Trigwell et Prosser, 1996b).
Certains chercheurs comme Kember (1997) et Van Driel et al. (1997), ont identifié une conception de l’enseignement mitoyenne entre celles magistro-centrées et celles centrées sur les étudiants. Pour cette conception illustrée dans la 2e colonne du Tableau 2.1-1, les interactions sont considérées comme le cœur du processus d’enseignement-apprentissage. Ainsi, les professeurs sont détenteurs du contrôle du processus d’apprentissage même si les activités d’apprentissage nécessitent une participation active des étudiants dans des interactions avec leurs pairs ou leurs professeurs. Le rôle des professeurs est alors de mettre en place des activités d’apprentissage structurées, interactives et planifiées en fonction des contenus à aborder. Les professeurs soutiennent et aident les étudiants en leur offrant des explications, des démonstrations, des pistes de solution ou des rétroactions lorsque nécessaire (Entwistle et Walker, 2000). Pour Van Driel et al. (1997), les professeurs qui possèdent cette conception, qu’ils nomment « enseignement dirigé », cherchent à interagir fréquemment avec leurs étudiants et préférablement en petit groupe. Cette conception de l’enseignement ne peut être classée dans les conceptions centrées sur le professeur et le contenu parce qu’elle nécessite un engagement actif des étudiants. Elle ne peut pas non plus être classée dans les conceptions de l’enseignement centrées sur les étudiants et leurs apprentissages, car elle implique un important contrôle du processus d’enseignement-apprentissage par les professeurs où il y a peu de considération accordée au processus d’apprentissage chez les étudiants (Van Driel et al., 1997).
Au-delà des similitudes constatées dans les études recensées voulant que les conceptions de l’enseignement puissent être classées selon qu’elles sont centrées sur le professeur et le contenu à enseigner, les interactions ou centrées sur les étudiants et leurs apprentissages, un certain nombre de différences sont observées et suscitent des questionnements.
Premièrement, nous constatons une certaine ambiguïté à propos de la conception mitoyenne axée sur l’importance des interactions. Pour Kember (1997), cette catégorie articulée sur les interactions représente une conception en elle-même. Pour cet auteur, cette conception constitue la manifestation d’un état de transition où une ouverture vers les étudiants est constatée chez les professeurs. Cette ouverture se manifeste notamment par des échanges et discussions où l’on tient compte de ce que les étudiants pensent et peuvent déjà savoir. Cette conception mitoyenne a été observée par Samuelowicz et Bain (1992) lorsqu’ils ont mené leur étude auprès de 13 professeurs anglais et australiens de sciences et de sciences sociales. Leur but était d’identifier les conceptions des professeurs et de les comparer avec les résultats des autres études similaires. Lorsqu’ils ont repris leur étude en 2001, Samuelowicz et Bain (2001) ont augmenté le nombre de participants à 39. L’analyse leur a permis d’augmenter leur nombre de conceptions à sept, mais également d’éliminer cette conception mitoyenne fondée sur les interactions. En distinguant les interactions pour conserver l’attention des étudiants et celles pour les aider à construire leurs apprentissages, Samuelowicz et Bain (2001) ont statistiquement éliminé la conception mitoyenne fondée sur l’importance des interactions. Selon ces auteurs, les interactions constituent davantage une dimension faisant partie des conceptions des professeurs plutôt qu’une conception en elle-même. Cette absence de conception mitoyenne est également confirmée par Kember et Kwan (2000).
Toutefois, lorsque nous analysons la prévalence des différentes conceptions éducatives rapportées dans certaines études, nous pouvons nous questionner à propos de l’existence de cette conception mitoyenne axée sur les interactions. Telle que présentée dans le Tableau 2.1-2, la distribution des professeurs selon qu’ils possèdent des conceptions centrées sur le professeur, les interactions ou les étudiants, nous indique que la conception mitoyenne est observée chez une bonne proportion de professeurs, notamment dans l’étude de Van Driel et al. (1997). Pour ces chercheurs, cette conception se caractérise par un enseignement où le professeur est en contrôle, mais où il offre des opportunités aux étudiants d’être actifs, notamment lors d’échanges et d’interactions. Dans l’étude de Van Driel et al. (1997), cette conception mitoyenne est la conception la plus représentée chez les 16 professeurs de première année dans un établissement d’enseignement supérieur en ingénierie aux Pays-Bas. Bien que peu de chercheurs aient observé cette conception mitoyenne, sa prévalence demeure importante, surtout qu’elle est pratiquement aussi fréquente que les conceptions centrées sur les étudiants.
Il nous apparaît que les interactions représentent un élément important dans la situation d’enseignement-apprentissage dans les classes universitaires. Pour certains chercheurs, cette importance semble suffisamment grande pour permettre la constitution d’une catégorie de conception alors que pour d’autres, cela n’est pas suffisant. À notre avis, dans une vision plus large, cette attention portée aux interactions peut certainement aider à distinguer les conceptions éducatives entre elles et même les approches d’enseignement qui en découlent.