Utilisation de la spectroscopie infrarouge et de la microscopie confocale pour l’étude des premières étapes de croissance
Suivi de la croissance par spectroscopie infrarouge
Afin de mieux mieux comprendre les mécanismes reliés aux premières étapes de la croissance des biofilms, la spectroscopie infrarouge en réflexion totale atténuée a été utilisée. Tel que décrit dans la section expérimentale, le système est sondé sur une profondeur de 1 à 2 µm. Cette épaisseur se rapproche du diamètre des bactéries de la famille Pseudomonas. Par conséquent, on peut considérer qu’on étudie seulement la première couche de bactéries ainsi que la partie de la matrice
extracellulaire assurant l’adhésion au substrat. La Figure 4-1 montre le spectre infrarouge en réflexion totale atténuée d’un biofilm de Pseudomonas sp. CT07 après 60 heures de croissance.
Figure 4-1 : Spectre infrarouge d’un biofilm de Pseudomonas sp. CT07 sur le cristal ATR en diamant après 60 heures. Le spectre du milieu de culture (AB modifié avec 10 mM de citrate de sodium comme source de carbone) a été soustrait afin de mieux voir les bandes du biofilm.
Tableau 4-1 : Principales bandes observées dans le spectre infrarouge en réflexion totale atténuée d’un biofilm de Pseudomonas sp. CTO7 après 60 heures de croissance avec leurs attributions et les principales biomolécules qui y sont reliées [32, 111].
On observe différentes bandes en infrarouge attribuables aux différents constituants du biofilm (voir Tableau 4-1 pour le résumé des attributions). Les protéines peuvent être observées à partir des bandes amide I, amide II et amide III autour de 1640, 1545 et 1315-1280 cm-1, respectivement [31, 112]. Dans la littérature, les protéines sont considérées comme étant situées principalement à l’intérieur des bactéries et par conséquent un bon marqueur pour suivre l’évolution de la quantité de bactéries dans le biofilm [31, 32]. Plusieurs bandes permettent de caractériser les acides nucléiques, l’ADN et l’ARN. Les bandes à 1235 cm-1 (νaPO42-) et à 1085 cm-1 (νsPO42¯) sont toutes les deux caractéristiques des acides nucléiques [32]. L’ADN et l’ARN sont tous les deux représentés par la bandes à 1115 cm-1 (νsCC). Dans un biofilm, ces composés se retrouvent principalement dans les bactéries. Les polysaccharides sont principalement associés à la bande νsC-O-C à 1060 cm-1. Les polysaccharides sont un des constituants principaux de la matrice extracellulaire et favorisent aussi l’adhésion des biofilms avec les surfaces. Ils jouent un rôle important dans les propriétés mécaniques de la matrice extracellulaire [30]. On les retrouve aussi dans la membrane des bactéries.
Tel qu’observé dans le spectre du biofilm à la Figure 4-1, la bande νsPO42- des acides nucléiques à 1085 cm-1 a deux épaulements. Afin de mieux caractériser cette bande ainsi que les autres composantes entre 950 et 1160 cm-1, une déconvolution spectrale a été effectuée (Figure 4-2). Cela permettra aussi de vérifier les contributions relatives des différentes bandes présentes et de voir si la contribution de la bande νsPO42- est suffisamment importante pour être utilisée pour suivre les acides nucléiques.
La Figure 4-2 montre la décomposition spectrale des spectres IR-ATR du biofilm entre 1160 et 950 cm-1. Cette région contient à la fois des bandes associées aux acides nucléiques et aux polysaccharides. La décomposition spectrale a été faite en utilisant un minimum de bandes permettant de bien définir l’ensemble des spectres acquis pendant la croissance. Le nombre de bandes ainsi que leur position ont été choisies à partir de la forme du spectre et à l’aide des information tirées de la littérature [32]. Les paramètres initiaux de largeur de bande ont été choisies à partir de la forme du spectre du biofilm. Tous les paramètres de décomposition spectrale ont été testés sur des specres à différentes étapes de croissance afin de s’assurer de leur validité. Lors de la décomposition spectrale, la contrainte sur la position et la largeur à mi-hauteur des bandes est, respectivement, de plus ou moins 2 et 10 cm¯1 autour du paramètre initial. L’absorbance des bande n’est pas contrainte. La bande principale observée dans cette région est la bande νsPO42- à 1085 cm-1 correspondant principalement aux acides nucléiques. Il est important de noter que les phospholipides contribuent aussi à cette bande. Ces derniers sont principalement situés dans la membrane. À 1118 cm-1 on observe la bande νsCC de l’ADN et de l’ARN. Pour ces composés, il y a aussi deux bandes à 993 et 970 cm-1. Les modes de vibration de ces bandes sont plus complexes. Les polysaccharides sont représentés par deux bandes à 1060 cm-1 (νsCOC) et à 1045 cm-1 (νOH + δCO). La déconvolution spectrale permet de voir que la bande majoritaire est bien la bande νsPO42- à 1085 cm-1 et que cette dernière compte pour la majorité de l’intensité à cette longueur d’onde. Des déconvolutions à plusieurs périodes dans le temps indiquent que c’est aussi le cas aux différentes périodes pendant la croissance du biofilm. Par conséquent, il est possible d’utiliser son absorbance pour suivre l’évolution de la composition en acides nucléiques dans le biofilm pendant sa croissance par spectrosocopie IR-ATR.
Figure 4-2 : Décomposition spectrale du spectre IR-ATR du biofilm montré à la Figure 4-1 entre 1160 et 950 cm-1. Cette région comprend notamment la bande νsCC de l’ADN et ARN à 1118 cm-1, la bande νsPO42- à 1085 cm-1 des acides nucléiques et la bande νsC-O-C des polysaccharides à 1060 cm-1.
La Figure 4-3 montre l’évolution des différentes bandes du biofilm pendant la croissance. Dans ce cas, aucune période de latence où les bandes seraient très peu intenses et ne changeraient pas d’intensité n’est observée. Pour d’autres biofilms et plus particulièrement ceux obtenus par inoculation directe, il y a une période de latence. Une croissance exponentielle qui se traduit en une augmentation rapide de l’intensité de toutes les bandes associées au biofilm est observée au début du développement du biofilm (Figure 4-3). La croissance se fait ensuite plus lentement, puis on observe une diminution de l’absorbance de certaines bandes. Plus particulièrement, les bandes amide I et amide II suivent cette tendance. On voit qu’un peu après une journée de croissance, leur intensité diminue. Le même comportement est observé pour les bandes νsPO42- et νaPO42- principalement associées aux acides nucléiques. Cela indique qu’après cette période de quelques heures, il y a moins de bactéries à la surface du cristal de diamant ou ces dernières deviennent moins actives. Puisque les protéines et les acides nucléiques sont principalement localisés dans les bactéries, si les bactéries s’éloignaient de la surface ou deviennent moins actives, on observerait une diminution de leur absorbance.
Figure 4-3 : Absorbance pour différentes bandes en spectroscopie infrarouge en réflexion totale atténuée pendant la croissance d’un biofilm (amide I, amide II, δCH2 + δCH3, νaPO42- + amide III et νsPO42- (losange bleu, carré rouge, triangle vert, étoile bleue et cercle orange, respectivement). Dans le spectre infrarouge, ces bandes se retrouvent respectivement à 1640, 1545, 1455, 1235 et 1085 cm-1. L’attribution spectrale des bandes se retrouve au Tableau 4-1 et le spectre correspondant est à la Figure 4-1.
Alors que le suivi de l’absorbance des différentes bandes est révélateur de la croissance du biofilm, le ratio des bandes donne des informations importantes sur la composition relative en biomolécules. Le ratio entre la bande amide II (1545 cm-1 ; protéines) et la bande νsPO42- (1085 cm-1 ; acides nucléiques) est intéressant puisque ces deux biomolécules sont importantes pour le biofilm et les bactéries qui en font partie (Figure 4-4). Pour suivre les protéines, la bande amide II est préférable à la bande amide I puisque cette dernière a moins de recouvrement avec la bande
δHOH à 1654 cm-1 de l’eau. Cette bande est retirée du spectre en faisant la soustraction spectrale du milieu de culture pendant le traitement des données. Les valeurs d’absorbance pour la bande amide II sont toutefois plus précises puisqu’elles sont moins affectées par cette procédure. On observe à la Figure 4-4 que le ratio entre la bande amide II des protéines (1545 cm-1-) et la bande νsPO42- des acides nucléiques (1085 cm-1) diminue pendant les 8 premières heures de croissance. Il augmente ensuite pendant tout le reste du développement du biofilm avec une croissance plus rapide après 35 heures. Les premières 8 heures correspondent à la croissance exponentielle. La diminution du ratio indique que la quantité des protéines augmente plus lentement que les acides nucléiques. Il est important de considérer qu’en valeur absolue les deux types de molécules augmentent pendant cette période (Figure 4-3). Cela pourrait être relié à une division cellulaire rapide des bactéries. Après la phase de croissance rapide, le ratio augmente, ce qui indique un changement de métabolisme important à partir de 8 heures pour ce biofilm [32].
Une restructuration du biofilm après la phase de croissance rapide serait cohérente avec ces observations. D’abord, la diminution de l’absorbance pour les bandes principales associées aux protéines et aux acides nucléiques (Figure 4-3) pourrait être reliée à un déplacement des bactéries vers les couches supérieures du biofilm. Les mesures en spectroscopie infrarouge en réflexion totale atténuée en ATR diamant sont représentatives des premiers deux microns au-dessus de la surface du cristal de diamant. Tout ce qui est au-delà de cette limite n’est pas échantillonné. L’augmentation du ratio entre les bandes associées aux protéines et aux acides nucléiques indiquerait alors que les bactéries et la matrice extracellulaire qui reste à la surface du cristal ATR ont une proportion de plus en plus importante de protéines par rapport aux acides nucléiques. Des mesures par microscopie confocale permettront d’observer directement les bactéries pendant la croissance du biofilm. La résolution dans l’axe Z (profondeur du biofilm) permettra d’observer l’évolution du biofilm directement au fond du microcanal (comme en spectroscopie IR-ATR) et dans les parties supérieures.