Cours les marins incarcérés pour les délits liés à la discipline maritime, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.
Ce traitement particulier ne se limite pas qu’à l’espace attribué. À partir de la fin des années 1820, les autorités carcérales commencent à resserrer le contrôle sur la nourriture amenée aux prisonniers. Un régime alimentaire uniforme est imposé, sauf pour les marins incarcérés pour discipline maritime. Ceux-ci représentent près de 60 % des marins de la prison et ne sont pas soumis à ces règlements. Pour quelles raisons? Tout simplement parce que les lois régulant les peines pour discipline maritime exigent que les capitaines en assument les frais quotidiens102.
Selon l’ordonnance de 1807, le montant à payer par marin est d’un shilling et demi par jour de détention103. Ces mesures exceptionnelles permettent notamment d’acheter de l’extérieur de la prison tout ce que le marin souhaite manger. Par contre, si les frais quotidiens ne sont pas payés, le marin peut être disculpé et libéré par le juge de paix. Sous de telles conditions, l’incarcération des marins pour discipline maritime semble très éloignée de l’idée de punition comme sentence.
Ces mêmes lois adoptées au début du XIXe siècle permettent aux marins envoyés en prison d’être libérés avant la fin de leur sentence si leurs capitaines en font la demande. Pourtant, l’un des principes fondamentaux d’une prison de réforme est que la peine soit effective. Que la sentence soit de deux semaines ou d’un mois, les individus ont la conviction qu’elle sera exécutée. Mais dans le cas des marins, cette certitude de la peine vient en contradiction avec les intérêts des compagnies de la marine marchande, des capitaines et des autorités coloniales.
Les maîtres de navires, subissant des pressions devant la pénurie de main-d’œuvre, ont besoin de leur équipage complet afin de repartir. Aussi récalcitrants que puissent être les matelots envoyés en prison pour discipline maritime, moins du tiers purgent l’intégrité de leur peine. À titre de comparaison, la moitié des autres travailleurs emprisonnés pour des causes liées à l’emploi complète l’ensemble de leur peine104. Ainsi, la libération des marins à la demande des capitaines vient contourner l’esprit même d’une institution de punition étatique.
L’histoire du marin Christopher Paul rappelle ces conditions exceptionnelles de détention à la prison commune de Québec105. Jeune homme à peine âgé de 22 ans, il arrive à Québec à bord du Evergreen en mai 1850. Avec d’autres membres de son équipage, il est accusé par son capitaine d’avoir refusé de travailler, ce qui l’envoie au cachot pour 40 jours. Cette histoire aurait pu rester anonyme, mais Christopher a décidé d’inscrire son histoire sur le plancher de bois de sa cellule. Cette inscription est encore visible dans l’ancienne prison qui est aujourd’hui le Morrin Centre. Or, à l’époque il s’agissait d’un bloc cellulaire réservé aux condamnés à mort. Christopher a sans doute été incarcéré à cet endroit faute d’espace pour les prisonniers ordinaires. Par la suite, les registres d’écrou montrent qu’il a été libéré au bout d’un mois, au moment où l’Evergreen a levé l’ancre du port pour repartir vers Londres. Il est fort probable que le capitaine soit venu reprendre son travailleur. On peut conclure que le jeune marin est ainsi reparti vers la métropole. Ce qui n’est pas le cas pour deux de ces équipiers condamnés avec lui : ces derniers eurent plutôt l’idée de s’évader de prison avant de disparaitre dans la nature.
Comme Christopher, des centaines de marins sont ainsi libérés avant la fin de leur sentence chaque été. On pourrait penser que cela profite uniquement aux intérêts maritimes. Toutefois, cette pratique sert également les autorités locales. Encore une fois, on doit prendre en compte les contraintes particulières qui incombent à une ville portuaire saisonnière comme Québec. Considérant la fermeture annuelle de la navigation pendant au moins cinq mois, on pourrait s’attendre à ce que les marins restés en prison après le mois de novembre soient obligés de passer l’hiver sur place. Or, le gouvernement colonial ne souhaite pas que la responsabilité de ces hommes lui revienne. C’est pourquoi une pratique annuelle est adoptée pour demander aux autorités carcérales de décharger l’ensemble des marins incarcérés pour des crimes mineurs, qu’ils soient relatifs à la discipline maritime ou non, avant la fermeture de la saison de navigation106.
Sous de telles conditions, l’incarcération des marins dans la ville portuaire de Québec devient un enjeu majeur à partir du milieu du XIXe siècle. Qu’ils soient arrêtés pour désordre ou pour tout autre crime mineur lié à leur emploi, les marins incarcérés reçoivent un traitement particulier par rapport à l’ensemble des autres prisonniers. Lorsqu’il s’agit de désordre, l’incarcération vécue par un marin est bien différente de celle prévalant pour les autres prisonniers, même si la nature du crime est identique. De toute évidence, la gestion de la prison commune de Québec s’est modelée au système impérial transnational qui s’appuyait sur la discipline maritime. De ce fait, nous pensons que cette adaptation a rendu difficile l’application du projet de réforme carcérale.