Cours la validation d’analyses économiques par la convocation de la doctrine, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.
– L’ANALYSE ÉCONOMIQUE DE CONCEPTS JURIDIQUES
On sait que le projet de la Law and Economics, qui prospère outre-Atlantique mais suscite, à tort ou à raison, des résistances en Europe,9 consiste à soumettre les concepts juridiques à une analyse microéconomique destinée à théoriser les relations qui unissent le droit et les comportements économiques ainsi que les résultats de ces relations en termes d’efficience. Dans cette perspective, et selon la même méthode, une branche importante de la Law and Economics européenne, qui se rassemble en particulier au sein l’European Association of Law and Economics, a développé une visée normative dont la finalité est de repenser les concepts juridiques sous l’angle économique.10 Cette branche commence à s’implanter en France, comme en témoignent les travaux consacrés aux modes de règlement des conflits,11 au droit administratif et à la justice administrative12, à la justice civile,13 à l’interprétation judiciaire des contrats,14 aux droits de propriété dans les espaces ruraux,15 etc. Or il nous paraît incontestable que ces travaux reposent davantage sur l’exploitation de concepts juridiques stylisés, souvent dans les termes dans lesquels ils sont définis par la doctrine juridique, que sur celle du fonctionnement économique du droit. Certes, il est à l’évidence légitime de procéder, pour reprendre l’expression de Joseph SCHUMPETER, à une abstraction des phénomènes jusqu’au point au-delà duquel ils cesseraient d’être intelligibles, et de construire une modélisation visant à dégager, sur un plan épistémique plus que pratique, les traits saillants des concepts étudiés. Reste, toutefois, à comprendre les implications normatives de modèles stylisés. De ce point de vue, le risque est grand de voir le discours économique se boucler sur lui-même, faute d’articulation encore suffisante avec les catégories juridiques de l’action pratique, c’est-à-dire avec ce que le droit fait dans le monde réel.16 À quoi s’ajoute, inconvénient qui en découle, que le caractère ambigu des qualifications abstraites du droit par rapport à la complexité des pratiques économiques est à la source de l’adoption, par les acteurs, de comportements stratégiques qui faussent l’observation.
– LA VALIDATION D’ANALYSES ÉCONOMIQUES PAR LA CONVOCATION DE LA DOCTRINE
Le rapport des économistes avec le droit se développe également, dans certains travaux, en direction de l’étude des consonances ou des dissonances entre les théorisations économiques et le discours du droit sur des objets pensés comme communs. De tels travaux sont en particulier réalisés dans le domaine des contrats.24 Ils résultent d’interactions discursives entre économistes et juristes et s’inscrivent dans une démarche de validation des analyses économiques par les détenteurs d’un savoir juridique. Dans ce contexte, les sources juridiques mobilisées par les économistes ne sont pas le produit de ce que l’on serait tenté d’appeler une « intégration verticale » entre le droit et l’économie, mais d’une sous-traitance par les économistes de la production de savoirs juridiques. Reste à déterminer la qualité du produit de la sous-traitance. De ce point de vue, il importe de signaler, à nouveau, que les savoirs juridiques doivent être rapportés au contexte de leur énonciation ; en la matière, lorsque ces savoirs relèvent d’une activité dogmatico-doctrinale,25 il convient de les saisir comme le produit d’une activité des juristes qui se situe à une certaine distance d’une connaissance empirique et scientifique (au sens où elles reposerait sur les méthodes de recherche en science sociale) du fonctionnement des dispositifs juridiques. La doctrine juridique, en effet, est un discours centré, pour l’essentiel, sur la qualité formelle des règles, et non pas le produit de protocoles de recherche sur le fonctionnement social (et économique) de la régulation juridique. Approche en terme de discours sur la qualité formelle des règles qui ne néglige pas, bien sûr, la vertu intégrative que revêt la doctrine à l’égard de la jurisprudence en lui permettant de se muer en droit positif.26 Imprimer une cohérence à une série de décisions, révéler la règle de droit par un mécanisme d’abstraction et de systématisation inductive par une suite d’opérations précises,27 voilà la tâche qui incombe à la doctrine juridique. Ce travail, important, n’en demeure pas moins, méthodologiquement, de nature formelle.