Cours le renouvellement du vieux débat épargne-investissement, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.
Investissements innovants, financements nouveaux
Le renouvellement du vieux débat épargne-investissement
Le débat sur l’équilibre épargne-investissement est vieux comme l’économie politique. Dans les célèbres courbes « IS »35, les volumes de I(nvestment) et S(avings) s’ajustent à un taux d’intérêt d’équilibre, qui ne réalise pas nécessairement le plein emploi. Mais aujourd’hui le débat se déplace du quantitatif vers le qualitatif.
Des volumes d’épargne abondants
Le sujet n’est plus en effet globalement ni les volumes, ni les prix de l’épargne disponible. Celle-ci est aujourd’hui abondante en Europe – qui est en excédent courant – et plus globalement dans le monde, grâce à l’épargne asiatique élevée. Ben Bernanke, qui n’était pas encore président de la FED, avait introduit en 2005 l’expression de « global savings glut »36, le « surplus d’épargne » lié aux pays émergents, dans un discours resté célèbre37. Le scénario central est aujourd’hui celui d’une prolongation des taux d’intérêt réels bas38, poursuivant une tendance forte : 5 % de taux réels au pic de 1986 ; 2 % avant la crise financière ; 0 % aujourd’hui. Et dans la réalité de court-moyen terme, les politiques monétaires des banques centrales garantissent une liquidité abondante.
Des taux bas mais un investissement qui y est peu sensible
Logiquement, cette épargne est peu chère. Les taux d’intérêt bas des banques centrales sont correctement répercutés vers les entreprises qui investissent (cf. partie 2.1 sur le cas français). Les entreprises rencontrées ont souvent exprimé des interrogations sur l’engagement des banques, mais aucune d’elles n’a dénoncé le coût du crédit trop élevé. Certains économistes vont au demeurant plus loin39 : l’investissement des entreprises serait de toute façon peu sensible au niveau des taux d’intérêt40. Une enquête réalisée par la FED américaine 41 auprès des directeurs financiers établit que plus de deux tiers (68 %) d’entre eux disent ne pas modifier leurs plans d’investissement dans l’hypothèse d’une baisse des taux d’intérêt pouvant aller même jusqu’à trois points. Un tel résultat n’est pas incohérent avec l’importance des leviers non financiers de l’investissement mise en évidence précédemment, dont la demande. Le cycle de l’investissement pourrait même être positivement corrélé à celui des taux d’intérêt : dès lors que les entreprises investissent au plus haut de la conjoncture, elles tendent aussi à investir au plus haut des taux d’intérêt.
Reste que dans la vision habituelle, l’investissement est un des canaux de transmission de la politique monétaire. Il faudrait accepter l’idée que cette transmission joue moins directement – par le prix bas des financements – qu’indirectement : en soutenant la demande – d’abord interne, notamment celle des ménages, voire externe via le taux de change -, la politique monétaire améliore les perspectives économiques des entreprises, et ainsi leur désir d’investissement.
Constats pratiques et analyses théoriques convergent en tout état de cause : dans le monde développé, le volume des financements est aujourd’hui abondant, leurs prix bas, et cette situation devrait perdurer au moins à moyen terme. Pour autant, la question de l’équilibre épargne-investissement se pose selon un axe renouvelé, et qualitatif : celle de l’intensité en risque.
Un nouveau défi qualitatif
L’économie aujourd’hui met en effet face à face des investissements de plus en plus « de rupture » et à risque, des financements qui restent traditionnels, et une épargne « prudente ».
Les investissements changent de nature ; nous l’avons vu plus haut avec l’analyse d’un certain « malinvestissement » français. Ils doivent être de plus en plus tournés vers l’innovation et la rupture, notamment dans la révolution numérique, davantage « schumpeteriens » : les investissements de demain ne seront pas dans les mêmes actifs qu’hier – moins corporels -, dans les mêmes entreprises – moins établies -, ni tout à fait dans les mêmes pays. L’investissement désormais le plus décisif n’est au demeurant pas comptabilisé dans la FBCF traditionnelle : c’est celui dans la compétence des hommes et des femmes, dans la formation professionnelle initiale comme continue. La France y est en retard par rapport aux meilleurs pays européens dont l’Allemagne. Pour ne citer qu’un exemple, il n’est sans doute pas d' »investissement » plus prioritaire aujourd’hui qu’une mobilisation de tous – y compris les entreprises – pour l’apprentissage des jeunes, pouvant inclure une mobilité européenne.
Parallèlement, le monde avancé doit réussir une transition énergétique vers une économie à moindre carbone ; les pays émergents ont de gigantesques besoins d’infrastructures. Il faut trouver les véhicules de financement de ces investissements longs et avec un alea collectif.