5 minutes d’entretien avec un responsable dans l’industrie

5 minutes pour comprendre

Reconnaître la primauté des besoins des clients finaux et intermédiaires, et aligner les activités de l’entreprise pour créer de la valeur par rapport à ces besoins, sont le meilleur gage de productivité et prospérité.
Ce principe est probablement le plus « tectonique » de tous, dans le sens où son mouvement est imperceptible. Le bruit de l’activité « à la surface », la vie prenante de l’entreprise de tous les jours, obs-curcissent le mouvement profond qui consiste à réorienter les activi-tés de l’entreprise vers les besoins du client.
Curieusement, la Voix du Client est difficile à appréhender et à com-prendre. Déjà, il faut reconnaître la nécessité d’aller la chercher, au lieu de simplement déverser des produits dans un monde qu’on espère ou imagine assoiffé de les consommer. La consommation automatique peut exister temporairement, par exemple, en temps de guerre ou immédiatement après, mais elle n’est pas durable éco-nomiquement.
Mais même, une fois admise la nécessité d’aller chercher la Voix du Client, les méthodes traditionnelles de l’appréhender n’étaient pas très efficaces. Des enquêtes de satisfaction, des questionnaires, des analyses des réclamations, semblaient apporter les besoins et atten-tes du client, mais sa voix était filtrée, affaiblie, déformée.
En plus, le client n’est pas unique. Dans une supply chain, il existe des clients intermédiaires et des clients finaux. Tous les maillons sont des clients valables, mais il n’y a qu’une personne qui introduit du vrai argent frais dans la chaîne logistique : le client final. Les efforts de toutes les entreprises dans la chaîne doivent concorder au ser-vice du client final.
À la limite, une façon banale d’obtenir la Voix du Client est d’avoir une conversation avec lui, ou plutôt de multiples conversations avec de multiples clients. Les communications que les employés d’une entreprise peuvent avoir tous les jours avec leurs clients, tombent dans cette catégorie. Cependant, après l’appréhension, il y a la compréhension, qui est aussi une étape difficile, parce que le client parle en énigmes comme le sphinx. Ce n’est pas surprenant : comment un adolescent allait-il dire à Sony qu’il voulait un baladeur, quand personne n’en avait jamais vu ?
Le décodage de la Voix du Client est alors essentiel. Quelqu’un qui veut emporter sa musique avec lui pour l’écouter dans des moyens de transport et ailleurs, afin de se couper du monde et de se repo-ser avec sa musique préférée… voilà le descriptif d’un baladeur si on sait : (1) interpréter les dires énigmatiques du client pour déceler ses besoins et attentes cachés, et (2) profiter du développement tech-nologique pour imaginer le produit qui pourrait les satisfaire.
La récolte et l’analyse de la Voix du Client ne devraient pas être l’affaire du seul service marketing ou ventes. Tout le monde, dans l’entreprise, peut profiter d’un échange structuré avec un client, et vice versa. Le produit peut être sublime, mais le client peut être repoussé par la complexité du processus pour le commander, le payer, l’entretenir ou le dépanner.
Les progrès technologiques jouent un rôle important dans l’analyse et l’exploitation de la Voix du Client. L’autonomie individuelle vis-à-vis de la musique aurait été impossible sans la miniaturisation des composants électroniques. Offrir un choix important d’ordinateurs personnels aux clients, prendre sans erreurs leurs commandes et les livrer rapidement, auraient été impensables sans la prise de com-mandes par menu informatique.
La technologie doit néanmoins être guidée par la Voix du Client. Ce n’est pas, simplement, le fait que la recherche sache concevoir des plaques chauffantes céramiques, qui va assurer leur achat par les clients ; ou que, techniquement, on sache faire marcher de multiples programmes informatiques simultanément, pour assurer leur succès auprès des utilisateurs.
Cette nouvelle prise en compte, plus consciente, de la Voix du Client n’invalide pas les démarches démarrées pour le bien de l’entreprise, pour réduire ses coûts, pour améliorer ses systèmes internes ; mais elle les place dans une nouvelle perspective.
Par exemple, si la Voix de l’Entreprise disait réduire les coûts pour augmenter les marges, et qu’il en résultait le transfert des communi-cations téléphoniques dans un centre de service client dans un pays lointain, le client peut risquer d’en prendre ombrage et préférer trai-ter avec une société plus facile d’accès.
Autre exemple : la Voix de l’Entreprise pourrait souhaiter investir dans une machine à grande capacité, à cause de son coût faible par unité produite. La taille de la machine obligera l’entreprise à faire des lots importants pour obtenir les économies d’échelle nécessaires pour l’amortir.
Or, la Voix du Client pourrait vouloir l’inverse : une grande variété de produits en faible quantité, probablement personnalisés. La déci-sion sera alors d’acheter une nouvelle machine, oui, mais à la place d’une machine à grande capacité, deux machines à plus faible capa-cité mais plus faciles à changer. La Voix de l’Entreprise est à écouter dans le contexte de la Voix du Client.

10 minutes dans le monde de tous les jours

Témoignage de Max Nivot, directeur technique de la société Dufrix « Je n’ai pas travaillé 25 ans dans cette entreprise pour rien ! Je sais ce que veulent les clients ! »
« Ça y est ! rayonne Didier Naupreve, le directeur commercial. Nous avons obtenu la commande de la société Grostruc pour four-nir les pompes pour le nouveau casino qu’elle construit à Alice Springs.
– Où ça ? demande le directeur de la production, K.T. Strophe. C’est en Bretagne ?
– Non, rit Calvin Culette, le responsable des méthodes. C’est en Australie. J’y ai fait un trek il y a quelques années. C’est très beau, mais très sec : au milieu du désert, en réalité.
– Un casino dans le désert ? Pour quoi faire ? – Pour faire jouer les kangourous ? réplique K.T.
– En fait, leur idée est d’en faire le Las Vegas de l’hémisphère Sud, répond Didier. D’ailleurs, il y a plus d’eau à Alice Springs qu’à Las Vegas. Bien sûr, il faudra des filtres spéciaux sur la série 2000 pour empêcher le sable d’y entrer. » Eyrolles Max Nivot, le directeur technique, s’anime. « Mais il n’y a pas de fil-tres spéciaux sur la série 2000. Ils s’installent uniquement sur la série 5000, le haut de gamme.
– Je sais, Max, il va falloir les ajuster pour aller sur la 2000. Mais faire une si petite chose pour une si grosse commande, cela vaut la peine.
– Une si petite chose ?!? Max s’anime davantage. Pas du tout ! La série 5000 a des moteurs plus puissants, justement pour compenser le drain sur le débit causé par le passage de l’eau par les filtres spé-ciaux. Le 2000 n’a pas ces moteurs.
– Eh bien, il va falloir les installer ! confirme Didier, un peu énervé. Les clients ont besoin de ces fonctions.
– C’est comme toujours, bougonne Max. Les commerçants vendent n’importe quoi à n’importe quel prix. Si le client avait besoin de ces trucs spéciaux, nous les aurions créés. Cela fait 25 ans que je tra-vaille dans ce métier, donc je sais très bien ce que veulent les clients !
– Max, poursuit Didier patiemment, nous n’avons jamais vendu de pompes en Australie. C’est un nouveau marché.
– Écoute, mon petit, une pompe est une pompe, qu’elle soit instal-lée en France, en Australie ou dans les îles Galápagos !
– Effectivement, convient le commercial. Mais ce ne sont pas seule-ment les filtres spéciaux et les moteurs que les clients veulent, mais la facilité d’installation de nouveaux filtres qui les intéresse, ainsi que la fiabilité des moteurs.
– Nous avons un service après-vente pour ça avec 20 camionnettes » grommelle Max.
Ils restent tous cois un moment, envisageant la camionnette de dépannage affichant le grand logo de la société Dufrix, se frayant un chemin à travers le désert.
« Aujourd’hui, les clients ne veulent pas attendre la bonne vieille camionnette qui arrive avec le technicien et la pièce requise pour dépanner et sauver la journée ! Ils veulent quelque chose de plus rapide et plus économique, renchérit Didier.
– Des motos ?
– Non, un accès Internet, gratuit ou presque, avec les infos immé-diatement disponibles pour changer les filtres et dépanner les moteurs. »
Max rugit : « C’est n’importe quoi ! Il ne fallait pas demander aux Australiens ce qu’ils voulaient ! Ce marché est trop loin et trop par-ticulier pour nous ! »
Didier le regarde en souriant, et dit doucement : « Ce ne sont pas les Australiens qui veulent le service après-vente sur Internet, ce sont nos propres clients en métropole !
– Ce n’était pas la peine de leur demander, conclut Max. Je sais mieux qu’eux, ce qu’il leur faut ! »

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20 minutes pour connaître le détail technique

Bien que la mission officielle affichée dans les entreprises parle de l’écoute du client, dans la réalité quotidienne, c’est la Voix de l’Entre-prise qui la recouvre largement.
Dans une entreprise textile, l’objectif fixé par la direction générale est de maintenir les coûts de production très bas et de favoriser l’efficacité. A priori, ceci semble logique, jusqu’à ce qu’on apprenne que les stocks crèvent littéralement le plafond de l’entrepôt et qu’on loue du stockage à l’extérieur.
Autre exemple : un fabricant métallurgique doit rapporter au siège, tous les jours, à midi, le nombre des euros « produits » la veille. Quelle discipline dans le suivi financier, effectivement !
Dans ces deux cas on entend bien la Voix de l’Entreprise, mais où est la Voix du Client ?
Dans le premier cas, les stocks débordent parce que les clients n’achètent pas ce qui a été produit. L’entreprise n’écoute pas la Voix du Client pour produire les bons produits dans les bonnes quantités.
Dans le second cas, la Voix du Client est complètement escamotée par le système de gestion financier de l’entreprise. D’abord, les clients n’achètent pas des euros, mais des produits ou des services. Ensuite, l’usine est incitée à ne pas rater l’objectif quotidien en euros, mais son service client, en termes de lignes de commandes livrées à l’heure, est faible. Du moment où la quantité produite, convertie en euros, atteint l’objectif, le fait qu’on a produit ou non le bon produit demandé par le client, passe après.
Mettons les choses en perspective. Une fois que la Voix du Client est prise en compte, le point de vue de l’entreprise est d’atteindre les objectifs de vente et de production en volume, c’est-à-dire le budget. Une fois le volume assuré, on peut se pencher sur la fabrication des bonnes références dans la séquence voulue par les clients, ce qui est plus difficile. Sans pouvoir sortir le volume, l’entreprise ne durera pas très longtemps. C’est bien la Voix de l’Entreprise qu’on privilégie là.
On voit la nature « poule-et-œuf », ou plutôt yin yang, de la relation entre Voix du Client et Voix de l’Entreprise. Au départ, la Voix du Client s’entend bien, prônant l’innovation, le changement, le démar-rage d’une nouvelle technologie. En termes chinois, c’est le yang ou le mouvement.
Mais sans entreprise, il n’est pas question d’écouter et de répondre à la Voix du Client, en conséquence, la Voix de l’Entreprise est pré-sente aussi, prônant stabilité, maîtrise et l’exploitation au moindre coût. C’est le yin ou la stabilité.
Mais si la Voix de l’Entreprise finit par noyer la Voix du Client, ce qui arrive régulièrement dans une entreprise, voire à un secteur indus-triel entier, au fil des années de réussite, l’entreprise et le secteur perdront progressivement leur santé économique de toute façon. Il faut du nouveau ; l’entreprise doit passer du yin (stabilité) vers une phase de yang (changement), justement pour assurer sa pérennité.
Du côté de l’entreprise, dans la plupart d’entre elles, les besoins internes submergent et recouvrent les vrais besoins et attentes des clients. La majorité des personnes que nous interrogeons dans nos stages de formation, n’ont jamais rencontré de client, ni intermé-diaire, ni final. Elles ne risquent pas d’entendre sa voix, ni dans le sens vrai, ni dans le sens figuré !
Récupérer la Voix du Client, au niveau opérationnel, veut dire obte-nir sa demande pour nos produits et services. L’imprécision des pré-visions est souvent citée pour expliquer les stocks forts et le service client faible. Mais nous savons du quatrième grand principe expliqué plus loin, que la majorité de la demande, dans une chaîne logistique, est dépendante et peut être calculée. Pour connaître sa demande, il est beaucoup plus question de lier communication avec le client, sur le plan personnel, logistique et informatique, que de faire des prévi-sions statistiques.
Au-delà du niveau opérationnel, la Voix du Client doit s’entendre également au niveau stratégique, dans l’élaboration du plan stratégi-que et dans son déploiement à travers le Plan Industriel et Com-mercial (PIC). À ce niveau, ce n’est pas seulement le client d’aujourd’hui dont il s’agit, mais surtout la Voix du Client de demain.
L’obligation d’innover a été mise en évidence de manière étonnante par Noriako Kano, un professeur japonais, dont le célèbre graphique ci-dessous illustre le phénomène de « pesanteur » caractérisant l’innovation. Il définit trois types d’innovation, dans un produit ou service.
Le premier, appelé « décisif », est excitant, tellement il est innova-teur, et incite le client à acheter, ceci en dépit d’un prix élevé. « C’est trop beau ; il faut que j’en aie un ! » Inversement, l’absence de cette caractéristique innovante n’est pas remarquée, parce qu’elle était inconnue au client auparavant. Sa satisfaction ne descend pas en dessous de zéro.

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