Géochimie des eaux
La qualité de l’eau et ses interactions avec les 10 roches et les sols
Les modiications de la qualité de l’eau lors du cycle hydrologique
Les eaux de pluie traversent les sols et les roches avant d’émerger à la surface (Tardy, 1993). La pluie se forme par condensation de la vapeur d’eau autour de particules solides présentes dans l’atmosphère. La pluie est très peu minéralisée, la minéralisation étant limitée à la dissolution de particules présentes dans l’atmo sphère (poussières de minéraux, aéorosols, sels marins) et aux gaz qui peuvent se dissoudre dans les gouttes d’eau (CO2, diférents acides). Le plus grand changement de la composition chimique des eaux se produit lorsque l’eau traverse les horizons su20 periciels du sol. Ces changements dépendent de la nature des terrains traversés, du climat et de la durée du parcours. L’eau alimente des nappes supericielles (nappes phréatiques), et parfois des nappes plus profondes. La minéralisation de l’eau dépend principalement de ces interactions eau-roche fa vorisées par une pression partielle de CO2 10 à 100 fois supérieure à celle de l’atmosphère ; CO2 est produit dans les sols par l’oxydation de la matière organique (respiration) et difuse vers l’atmosphère extérieure. Par conséquent, en dissolvant CO2 de l’atmosphère du sol, l’eau de pluie devient plus acide, ce qui lui permet de réagir avec les minéraux des sols, selon leur solubilité (Bourrié, Trolard et 29 Freytet, 2008). Il ne faut cependant pas oublier une augmentation de la minérali30 sation de l’eau liée à l’évaporation de l’eau lors de son iniltration dans le sol. D’autres 4 Chapitre 1 : Géochimie des eaux 31 réactions/processus que la dissolution des minéraux entraînent une évolution de la 32 chimie des eaux dans le sol ou plus en profondeur dans la nappe : adsorption/désorp33 tion, échanges ioniques, mélange entre diférentes masses d’eau (Figure 1.1, (Tercé, 34 1998)). La minéralisation ainsi acquise par l’eau permet d’approvisionner les plantes 35 en éléments indispensables à leur croissance. Figure 1.1 : Interactions sol / solution, d’après Tercé, 1998. M= cations et A= anions
Les mécanismes d’acquisition de la composition chi mique des eaux
1.1.2.1 Les réactions d’hydrolyse dans la zone critique Pendant son iniltration dans le sol, l’eau traverse des horizons organiques ou organo-minéraux et se charge en CO2 dissous. Le CO2 dissous peut fournir des H+ par dissociation permettant le déroulement de réactions d’hydrolyse des minéraux altérables (Bourrié, Trolard et Freytet, 2008). Les réactions d’hydrolyse ont pour efet d’accroître la charge dissoute des eaux naturelles. Ces réactions libèrent les éléments constitutifs de ces minéraux en solution, comme des alcalins (Na, K…), des 45 alcalino-terreux (Mg et Ca…), des métaux de transition (Al, Fe…), et des métalloïdes 46 (Si, P et S). Dans les gammes de pH et de potentiel d’oxydo-réduction du domaine 47 de stabilité de l’eau, trois groupes d’éléments se distinguent d’après leur charge 48 électrique : 49 • de faible charge électrique (I et II) : ils sont entourés d’une sphère de molécules d’eau (cations hydratés Na+, K+, Mg2+, Ca2+ 50 ) ; 51 • de charge +III : ils sont sous forme de cations à pH acide, de molécules neutres 52 à pH neutre, d’anions à pH alcalin. Ils ont donc un caractère acide marqué (Fe3+, Al3+ 53 ) et forment des hydroxydes insolubles à pH neutre et des anions 54 à pH alcalin ; 55 • de charge supérieure à +III, ils sont présents sous forme de molécule neutre (Si(OH)4) ou d’oxy-anions (PO4 3 – , SO4 2 – 56 ). 57 Par exemple, l’aluminosilicate de calcium (l’anorthite) est un minéral courant et 58 facilement altérable des roches continentales. La réaction d’hydrolyse de ce minéral 59 s’écrit : Si2Al2O8Ca + 8 H+ −−−→ 2 Si(OH)4 + 2 Al3+ + Ca2+ (1.1) 60 Toutefois dans le cas où le pH est neutre, l’aluminium est insoluble et précipite 61 sous forme d’hydroxyde, Al(OH)3, la gibbsite, ou sous forme de kaolinite qui est 62 un minéral très commun dans les sols tempérés ou tropicaux. Pratiquement tout 63 l’aluminium libéré par la réaction (1.1) reprécipite. La concentration en aluminium dans l’eau est alors très faible (10−6 − 10 64 −5 mol/L). La dissolution de l’anorthite associée à la précipitation de kaolinite (eq. 1.2) mène à la libération de Ca2+ 65 en 66 solution. Si2Al2O8Ca + 2 H+ + H2O −−−→ Si2Al2O5(OH)4 + Ca2+ (1.2) L’hydrolyse d’autres silicates est à l’origine de la présence d’autres cations (Na+ 67 , K + et Mg2+ 68 ) et de la silice en solution. 6 Chapitre 1 : Géochimie des eaux
La dissociation de CO2 et l’altération des roches comme puits 70 de CO2
La dissociation de CO2 dissous est la source principale des protons et fournit des 72 ions bicarbonates : CO2 + H2O −−−→ H + + HCO3 − (1.3) 73 De ce fait, l’alcalinité de la solution et le pouvoir tampon de l’eau par rapport au pH augmentent (Bourrié, 1976). L’altération des minéraux des roches continentales est limitée. Dans les sols jeunes, la limite est ixée par le nombre de protons disponibles, et dans les sols vieux par la quantité de minéraux altérables. Dans un sol jeune, la combinaison des réactions (1.2) et (1.3) donne : Si2Al2O8Ca + 2 CO2 + 3 H2O −−−→ Si2Al2O5(OH)4 + Ca2+ + 2 HCO3 − (1.4) 78 Ceci montre que l’altération consomme deux molécules de CO2 du sol. Le calcium 79 et les deux ions hydrogénocarbonates sont exportés des continents vers les bassins 80 sédimentaires, précipitant sous forme de calcite et relâchant CO2 dans l’atmosphère, 81 suivant la réaction : Ca2+ + 2 HCO3 − −−−→ CaCO3 + CO2 + H2O (1.5) 82 Donc, globalement, l’altération des silicates de calcium retire une molécule de CO2 83 de l’atmosphère et la piège sous forme de calcaire : Si2Al2O8Ca + CO2 + 2 H2O −−−→ Si2Al2O5(OH)4 + CaCO3 · (1.6) L’altération des silicates de calcium avec formation des argiles dans les sols et de 85 calcite dans les bassins sédimentaires est le puits majeur de CO2. La réaction peut 86 se simpliier comme suit : CaO + CO2 −−−→ CaCO3 (1.7) Le processus, décrit ci-dessus avec Ca2+ 87 , existe aussi avec les autres alcalins et alcalino-terreux. Mais dans les bassins sédimentaires, Na+ et K+ reprécipitent sous forme de silicates et le CO2 repart dans l’atmosphère, ce qui fait que le bilan est nul pour CO2. Pour Mg2+ 90 , une partie précipite sous forme de silicate (argiles ma91 gnésiennes) et une partie sous forme de dolomite CaMg(CO3)2. C’est cette dernière qui contribue aussi à piéger le CO2 atmosphérique.
L’oxydation de N et S de la matière organique
L’azote sous forme N(-III) est un élément constitutif des acides aminés dans la 95 matière organique. Le soufre y est présent sous forme S(-II) dans les radicaux -SH. 96 La minéralisation de la matière organique des sols est pratiquement une combinai97 son entre une hydrolyse et une oxydation. Lorsque l’azote est absorbé sous forme 98 ammoniacale, la réaction inverse a lieu à l’interface racine / solution et le bilan de 99 protons est nul. La transformation de l’ammonium N(III) en nitrate N(V) libère 100 un proton (équation 1.9). Néanmoins, l’absorption de nitrate à l’interface racine/solution libère un OH– 101 en échange, et donc le bilan de protons est également nul. 102 NH3 + H + −−−→ NH4 + (1.8) NH3 + 2 O2 −−−→ NO3 − + H + + H2O (1.9) Des réactions du même type afectent le soufre organique. 105 Ceci peut paraître paradoxal, parce que l’utilisation d’engrais ammoniacaux 106 conduit à acidiier les sols. Et pourtant, il est clair que si des éléments subissent des cycles d’oxydation et de réduction qui les ramènent à l’état initial, les bilans 108 d’électrons et de protons ne peuvent qu’être nuls. Le résultat reste le même si on 109 ajoute les échanges d’azote avec l’atmosphère, ixation symbiotique de l’azote et 110 dénitriication. La ixation de l’azote s’écrit : 1 2 N2 + 3 e− + 3 H+ −−−→ NH3 (1.10) 111 Le donneur d’électrons est le carbone organique fourni par la plante au symbiote 112 ixateur, ici représenté sous forme d’un hydrate de carbone CH2O : CH2O + H2O −−−→ CO2 + 4 e− + 4 H+ (1.11) 113 et en combinant les deux demi-réactions, de façon à éliminer les électrons, il vient : 1 2 N2 + 3 4 CH2O + 3 4 H2O −−−→ NH3 + 3 4 CO2 (1.12) 114 Cette réaction montre bien que la ixation symbiotique de l’azote, nécessairement couplée à la respiration, est un processus inerte du point de vue acido-basique.
En fait, le bilan est tout simplement nul s’il n’y a pas d’exportations de sels minéraux. C’est diférent s’il y a exportation d’éléments minéraux (agrosystèmes), lorsqu’on n’exporte pas seulement des carbohydrates (CH2O), ou s’il y a des « fuites » de cations et d’anions vers les nappes : un ion nitrate non absorbé par les plantes correspond à un ion OH– 120 non excrété par la pompe à protons racinaire. Le bilan 121 doit donc être fait pour l’ensemble des éléments minéraux majeurs et intégré sur 122 l’ensemble de la « zone critique ». 123 S’il y a exportation, vers les plantes ou vers les nappes, la dynamique de l’azote peut être calculée d’après le bilan ([NH4 +]in – [NH4 +]out) – ([NO3 – ]in − [NO3 – 124 ]out) 125 (Breemen, Mulder et Driscoll, 1983).
La pompe à protons racinaire
Les racines absorbent les éléments minéraux Na+, K+, Mg2+, H2PO4 – , SO4 2 – et Ca2+ 128 . La somme des charges absorbées par les plantes est positive, car l’absorption est dominée par le potassium. La plante compense cet excès de charges positives par l’émission de protons vers le sol. De ce fait, le milieu racinaire (la rhizosphère) s’acidiie ce qui conduit à la dissolution des minéraux et à la mobilisation d’oligoéléments. Par contre, la minéralisation de la matière organique consomme des H+ 132 133 et les cendres issues de cette minéralisation ont un caractère basique. Donc, le bilan est nul s’il n’y a pas d’exportations nettes d’éléments minéraux et si le système est en état stationnaire.
Les flux entre compartiments et les bilans de protons
L’étude des flux et des bilans de protons se raisonne sur les écosystèmes dans les138 quels on distinguera les écosystèmes naturels qui n’exportent pratiquement pas d’élé139 ments minéraux et les agrosystèmes qui eux en exportent. L’analyse des flux entre 140 compartiments dans un agrosystème est facilitée par la construction d’un graphe 141 (igure 1.2) qui identiie des structures de l’éco-agrosystème. 142 Pour chacun des compartiments, la somme des flux est égale à la variation de 143 stock. Par exemple, la variation de la biomasse est donnée par la relation : ∆BM = Qp + Qu − Qex − Ql − Qt (1.13) où Qp est le flux d’apports atmosphériques à la végétation, Qu le flux d’absorption par le système racinaire, Qex le flux d’exportation, Ql le flux de restitution au sol par les retombées de litière, Qt 146 le flux d’éléments excrétés par les feuilles et lessivés llong des troncs. La solution du sol (S) se représente comme un noeud, car sa capacité 148 est très petite par rapport aux flux qui la traversent. Par conséquence, la somme des 149 flux qui entrent et sortent est nulle. Suivant cette méthode, les équations de conserva150 tion s’écrivent facilement (Bourrié et Lelong, 1990 ; Bourrié et Lelong, 1994). D’une façon générale, il faut séparer les zones non irriguées des zones irriguées : dans ces dernières, le flux d’éléments minéraux apportés par les eaux d’irrigation peut être plus important que le flux apporté par l’atmosphère