Etude numérique de la pertinence de t⊥
Evolution de la fonction d’occupation
Considérons l’effet d’un couplage cinétique sur un système de deux chaˆınes. On peut introduire deux fonctions d’occupation, une pour chaque valeur de l’impulsion transverse (0 et π correspondant aux modes liant et antiliant respectivement), qui sont identiques lorsque t⊥ = 0. Quand on branche le couplage, elles vont se séparer puisque les modes symétriques et antisymétriques acquièrent des moments de Fermi distincts k 1 F et k 2 F . On peut alors caractériser quantitativement l’effet du couplage, soit en étudiant la séparation en k (δkF = |k 1 F − k 2 F |), soit en mesurant la différence d’occupation entre les deux branches au niveau de Fermi initial kF (qui est la moyenne des deux moments de Fermi en vertu du théorème de Luttinger). Nous allons nous concentrer sur cette dernière quantité et essayer d’extraire son comportement dans la limite thermodynamique à partir de résultats obtenus avec des tailles finies. Soit δn(kF ) la différence d’occupation des deux bandes au niveau de Fermi pour l’état fondamental δn(kF ) = hc † 0 c0 − c † π cπ i. (IV.39) 110 3. Etude numérique de la pertinence de t⊥ En réécrivant cette définition en fonction des indices de chaˆınes (équation (IV.11)), on s’aper¸coit que cette quantité correspond à la valeur moyenne dans le fondamental du terme de saut interchaˆıne : δn(kF ) = 1 2 hc † kF ,1 ckF ,2 + c † kF ,2 ckF ,1 i. (IV.40) Or, puisque n(k,k⊥) est relié simplement à la fonction de Green G(k,k⊥,ω) par une intégrale sur les fréquences, nous nous attendons à ce que cette fonction d’occupation possède de l’information sur la cohérence ou non du saut interchaˆıne. à partir des nombreuses propositions concernant le comportement de la fonction de Green exposées précédemment, nous pouvons obtenir des prédictions sur l’évolution des fonctions d’occupation en fonction de t⊥, que nous comparons à nos résultats. i) Paramètres Nous avons effectué le calcul de n(kF ,k⊥) pour un modèle de deux chaˆınes à l’aide de l’algorithme de Lanczos pour des systèmes 2 × L, avec L = 8,12,16 et 20, au quart-remplissage. Le long des chaˆınes, nous utilisons des conditions périodiques ou antipériodiques afin d’ˆetre dans une configuration électronique avec des couches ouvertes. En présence de t⊥, ce choix permet d’avoir un fondamental non dégénéré et permet d’ajouter ou d’enlever une particule au niveau de Fermi kF . La procédure est la suivante. Premièrement, l’état fondamental complet est calculé. Puis, un nouvel état est construit en appliquant l’opérateur qui détruit une particule d’impulsion (kF ,k⊥). Enfin, n(kF ,k⊥) est obtenu en calculant la norme carrée de cet état. Afin d’extraire un comportement typique de cette quantité, nous allons tout d’abord étudier son développement de Taylor. ii) Développement de Taylor Pour un système de taille finie, on s’attend à ce qu’un développement en puissances de t⊥ soit vérifié. En outre, puisque t⊥ → −t⊥ échange le rˆole des deux bandes, cette série entière ne contient que des puissances impaires du couplage et il est suffisant de se restreindre aux deux premiers termes δn(kF ) = a(L)t⊥ − b(L)t 3 ⊥ Bien entendu, les coefficients a(L) et b(L) peuvent dépendre très fortement de la taille du système. Nous allons les étudier successivement. Coefficient linéaire a(L) La dépendance en taille de a(L) qui est la correction linéaire doit correspondre au résultat de réponse linéaire (IV.23) en rempla¸cant la coupure |k − kF | par 1/L. Ainsi, les équations (IV.23) suggèrent une variation de a(L) en (1/L) 2α−1 pour α < 1 et en 1/L pour α > 1 qui est très bien vérifiée (voir la figure IV.7). On peut noter également que différents modèles de portées i0 distinctes, mais ayant pratiquement la mˆeme valeur de α, donnent des résultats très proches, en accord avec le fait que α seul détermine les lois d’échelles observées. Une autre remarque est que, 0.6 1.0 1.4 1.8 2.2 (1/L)2α-1 0.8 1.2 1.6 2.0 2.4 a(L) α=0.36 i0=3 α=0.38 i0=2 α=0.41 i0=2 α=0.46 i0=3 α=0.57 i0=3 n=1/4 0.00 0.05 0.10 0.15 1/L 0.0 0.2 0.4 0.6 a(L) α=1 α=1.48 α=2.39 n=1/4 Fig. IV.7 – Coefficient a(L) (voir texte) en fonction de la taille renormalisée par les interactions selon la loi donnée par la réponse linéaire (IV.23) pour α < 1 (`a gauche) et α > 1 (`a droite). Figure extraite de la référence [190], publication n o 5. pour α < 1/2, le coefficient a(L) diverge avec la taille du système, indiquant que δn(kF ) doit varier plus rapidement que t⊥, et que la réponse linéaire n’est plus valable. Il faut également souligner que les différentes contributions L 1−2α et 1/L coexistent et il n’est pas complètement évident que l’on puisse observer une seule loi d’échelle puisque ces termes ne sont pas homogènes. Cela explique les écarts. Le fait que a(L) tende vers une limite finie quand la taille du système augmente n’est cependant pas suffisant pour garantir la validité du développement de Taylor. En effet, il suffit que les termes d’ordre supérieur divergent très rapidement pour donner un comportement dominant non linéaire. Pour cela, nous avons étudier le terme suivant dans le développement de δn(kF ). Coefficient non linéaire b(L) à l’aide des données obtenues en fonction de t⊥, il est facile de soustraire le comportement linéaire pour en extraire le terme suivant b(L). Il apparaˆıt alors que, au moins pour α < 1, b(L) augmente avec la taille et on peut essayer d’ajuster les données suivant une loi de puissance b(L) ∼ L γ . Les résultats montrés sur la figure IV.8 sont comparés aux prédictions analytiques [186]. Pour α < α2P , l’analyse diagrammatique suggère que γ = 3−4α puisque, à l’ordre n, tous les diagrammes se comportent en L n(1−α)−α [186]. Par contre, quand les processus à deux particules deviennent plus pertinents, il se produit un changement de régime. Les diagrammes les plus divergents donnent un comportement avec γ = 3 − 2K − 2α [150, 186]. La figure IV.8 montre un excellent accord avec ces prédictions et, à nouveau, les résultats ne dépendent que du paramètre α. Afin de préciser la qualité de nos ajustements, nous tra¸cons b(L) en fonction de la 112 3. Etude numérique de la pertinence de t⊥ 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 α 0 1 2 3 γ n=1/4 Fig. IV.8 – Estimations numériques de l’exposant γ défini dans le texte en fonction du paramètre α de Luttinger. On considère des interactions de portée i0 = 2 (¤) et i0 = 3 (•). Les prédictions analytiques γ = 3 − 4α et γ = 3 − 2α − 2K sont tracées pour comparaison et, en fonction de α, l’exposant dominant est en ligne pleine. (Figure extraite de la référence [190], publication n o 5). loi d’échelle théorique pour toute la gamme d’interactions sur la figure IV.9. Ces analyses préliminaires semblent indiquer un changement de régime vers un comportement non linéaire aux grandes tailles (basses températures). On peut situer ce changement lorsque les deux termes dans le développement de δn deviennent du mˆeme ordre, c’est-`a-dire quand t⊥ & L −(1−α) (dans le régime α < α2P ). De mˆeme, dans le cas ou` α > 1/2 et, bien que le terme linéaire a(L) tende vers une valeur finie, les diagrammes d’ordres supérieurs sont responsables de ce changement de comportement et de l’échec du développement de Taylor. En effet, l’échec de la réponse linéaire signalé dans [172] se caractérise par la divergence du terme linéaire précisément à k = kF lorsque α < 1/2. Cependant, mˆeme si ce coefficient a une limite finie, on ne peut pas exclure que les termes d’ordre supérieur deviennent pertinents. Nous avons montré numériquement que c’est bien le cas pour le terme proportionnel à t 3 ⊥. En fait, comme t⊥ est une perturbation pertinente, les termes d’ordre plus élevés sont de plus en plus divergents dans la limite thermodynamique. Ce problème est relié au fait que les limites t⊥ → 0 et L → ∞ ne commutent pas. En étudiant le comportement linéaire, on prend d’abord la limite t⊥ → 0 puis on analyse la dépendance en taille dans ce régime. Cependant, puisque nous sommes intéressés 113 Chapitre IV. Etude de systèmes de chaˆınes de fermions couplées 0 100 200 300 L3-4α 0 10 20 30 b(L) α=0.36 α=0.26 0 20 40 L3-2α-2K 0 1 2 3 4 5 b(L) α=0.46 α=0.70 α=0.84 Fig. IV.9 – Coefficient b(L) (voir texte) en fonction de la taille renormalisée par les interactions selon la loi donnée par l’analyse diagrammatique [186] pour α < α2P (`a gauche) et α > α2P (`a droite). Figure extraite de la référence [190], publication n o 5. par la limite thermodynamique, il faudrait prendre la limite de volume infinie d’abord, puis analyser les données à petit couplage limt⊥→0{limL→∞ δn(kF )}. Afin d’appliquer cette procédure, nous allons rechercher une loi d’échelle pour cette quantité. iii) Loi d’échelle et universalité Nous allons reprendre le développement de δn(kF ) que nous avons vérifié numériquement δn(kF ) = (a0 + a1L 1−2α )t⊥ − (b0 + b1L γ )t 3 ⊥ + . . . (IV.42) dans laquelle les ai et bi sont des constantes. En principe, a0 et b0 peuvent ˆetre négligées pour L À 1 et α < 1/2. Toutefois, en pratique, vu les tailles étudiées, il est nécessaire de tenir compte de a0. Considérons tout d’abord le cas α < α2P . Dans ce régime, le coefficient d’ordre n dans le développement de Taylor est homogène à t n ⊥L n(1−α)−α , et on peut donc regrouper ces termes dans une fonction d’échelle Gα(y) ne dépendant que de y = t⊥L 1−α (voir (IV.35)). En outre, il faut imposer que la série donne un résultat fini dans la limite thermodynamique et cela se traduit par Gα(y)L −α = Geα(y)y α/(1−α)L −α = t α/(1−α) ⊥ Geα(y) ou bien, de manière équivalente : δn(kF ) = a0t⊥ + t α/(1−α) ⊥ Fα(Lt 1/(1−α) ⊥ ) , (IV.43) ou` Fα(x) = Gα(x 1−α ) est une fonction dépendant de α qui a une limite finie en l’infini [186, 190]. Jusqu’`a présent, la forme (IV.43) a été vérifiée dans le cas ou` t⊥ ¿ L −(1−α) , c’esta-dire ` pour x petit. Par contre, si la ressommation de la série de Taylor est justifiée, cette écriture sous forme d’une loi d’échelle n’est pas limitée au domaine x ¿ 1 mais 114 3. Etude numérique de la pertinence de t⊥ est vraie pour tout x et, en particulier, dans la limite x → ∞ qui correspond à la limite thermodynamique L → ∞ à t⊥ fixé. Dans ce cas, on s’attend à ce que Fα tende vers une valeur finie cα (puisque δn(kF ) est fini) et, par conséquent, le résultat final s’écrit: δn(kF ) = cα t α/(1−α) ⊥ . (IV.44) Notons que, si cette formule est vérifiée, le terme linéaire a0t⊥ sera sous-dominant dans la limite thermodynamique, et cela justifiera a posteriori qu’il puisse ˆetre négligé. Mais, pour l’instant, il ne s’agit que de conjectures et nous allons passer à l’analyse des résultats. à partir des données obtenues pour divers couplages et tailles, nous construisons la quantité F 0 α (L,t⊥) = (δn(kF ) − a0t⊥)/tα/(1−α) ⊥ (IV.45) qui dépend a priori à la fois de la taille L et de t⊥ indépendamment. Nous avons tracé sur la figure IV.10 cette quantité en fonction de la variable combinée Lt 1/(1−α) ⊥ et, comme on le voit immédiatement, dans le régime α < α2P , toutes les données se trouvent sur une seule courbe. L’hypothèse de loi d’échelle est donc vérifiée avec une très bonne précision. Cette courbe définit la fonction d’échelle Fα(x) et il est également clair sur la figure que cette fonction tend vers une limite finie en l’infini. D’après la discussion qui précède, cela implique que la loi asymptotique (IV.44) est valable dans la limite thermodynamique. Pour mieux se rendre compte de l’importance des effets de taille finie, nous montrons sur la figure IV.11 les données brutes ainsi que les extrapolation déduites de la loi d’échelle. Il est clair d’après cette figure que les corrections de taille finie sont particulièrement importantes quand t⊥ est petit. Cela peut se comprendre par l’argument suivant. La longueur typique de la transition se comporte comme t −1/(1−α) ⊥ et elle augmente très rapidement à petit t⊥. Nos résultats sont en excellent accord avec les approches diagrammatiques [179, 186] et ceci reste vrai tant que les processus à deux particules ne sont pas importants c’est-`a-dire jusqu’`a α2P . La raison pour laquelle les corrections de vertex ne sont pas importantes tient au fait que les diagrammes à tous les ordres se ressomment de manière homogène.