L’aide multicritère à la décision
De monocritère vers le multicritère
Le paradigme monocritère
Le paradigme monocritère se formule de la façon suivante: Opt {ƒ(x) / x Є A} Cette expression fait clairement apparaître les trois étapes de la modélisation: 52 (1) Il faut définir l’espace A de solution. (2) La modélisation des préférences du décideur se fait au moyen d’un critère d’évaluation ƒ(x). Pour tout x Є A, ƒ(x) est un nombre réel représentant soit un profit (dans ce cas il doit être maximisé) soit un coût (il doit alors être minimisé). (3) Le processus d’investigation mathématique consiste à optimiser ƒ(x) (maximiser ou minimiser) sur l’espace A. Il s’agit souvent d’un algorithme, plus ou moins compliqué selon le cas. Le paradigme monocritère apparaît donc comme un problème d’optimisation, et son avantage est de donner lieu à un problème clairement posé. Tous les problèmes classiques de la recherche opérationnelle, établis progressivement depuis 1937, sont de ce type. Citons notamment la programmation linéaire, non linéaire, dynamique, la théorie des graphes et des réseaux, l’optimisation combinatoire, la théorie des jeux, les problèmes de localisation, les problèmes de transport, la théorie de file d’attente, la gestion des stocks, les problèmes d’ordonnancement, la gestion de la production,… Le paradigme monocritère implique que la modélisation des préférences se fasse au moyen d’un critère qui synthétise à lui seul tous les objectifs du décideur, toutes les conséquences de la décision. D’après Schärlig, cette approche est bien adaptée au traitement de certains problèmes techniques, mais présente toute fois de gros inconvénients dans un grand nombre de cas, surtout où le facteur humain intervient.53 Pour bien illustrer le fait que les problèmes monocritère ne sont pas adaptés aux traitements de la réalité humaine, considérons l’exemple suivant: Considérons un individu qui doit acheter une nouvelle voiture. S’il ne raisonnait que suivant un seul critère et ne s’intéressait qu’au coût de l’achat (car lorsqu’on ne s’intéresse qu’à un seul critère, c’est souvent l’aspect financier qui l’emporte), il roulerait avec la voiture la moins chère sur le marché. Or on sait que la réalité est tout autre: on voit toutes sortes de voitures dans les rues, de la moins chère à la plus onéreuse: le chef d’entreprise préférera avoir la voiture la plus confortable et la plus voyante sans vraiment faire attention au prix, le chef de famille voudra un véhicule pratique et assez grand pour emmener toute sa famille, tandis que l’étudiant se contentera de la voiture la moins chère, pourvu qu’elle fonctionne…. Cela ne peut s’expliquer que par la prise en compte, dans la tête de chaque individu, d’autres critères en plus du pécuniaire: le confort sous tous ses aspects, la satisfaction personnelle, l’impression produite sur autrui, et ainsi de suite.
Propriétés du paradigme monocritère
Considérons le modèle monocritère: Opt {ƒ(x) / x Є A}, où nous supposerons, sans perte de généralité, que le critère ƒ(x) doit être maximisé. Ce problème monocritère possède plusieurs propriétés:54 Propriété 1: problème bien posé Dans le paradigme monocritère, la notion de solution optimale a en général un sens. Il s’agit d’une solution x’ telle que: ƒ(x’)≥ ƒ(x), x Є A C’est une solution optimale que l’on soumettra au décideur dans le cas d’une problématique de choix. Si le décideur estime que le modèle est cohérent avec la réalité, il n’a plus d’espace de liberté. Il doit alors adopter une solution optimale. Propriété 2: relation de dominance (I,P) Le critère ƒ(x) permet de différencier les actions de A. Il implique de façon naturelle une relation de dominance (I,P) sur les éléments de A pris deux à deux et telle que: ƒ(a) > ƒ(b) aPb ƒ(a) = ƒ(b) aIb ƒ(a) < ƒ(b) aRb 54 -Célin Vilain, « Méthode flowsort au problème du tri multicritère », Figure n° 06: Relation de dominance Où P désigne la préférence et I l’indifférence. La figure précédente est une représentation graphique de cette relation. Propriété 3: préordre complet La relation (I,P) n’est pas une relation quelconque. Elle permet aussi de ranger les actions de la moins bonne à la meilleure, avec éventuellement la présence d’ex aequo. On parle dans ce cas de préordre complet. Ce préordre sera soumis au décideur en cas de problématique de rangement. Le préordre est complet car toutes les actions sont comparables deux à deux. Propriété 4: transitivité Les relations I et P sont transitives. En effet: aPb, bPc aPc aIb, bIa aIc Illustrons ces propriétés par l’exemple très simple suivant: le problème réel est de sélectionner un équipement parmi quatre équipements possibles (a1,a2,a3,a4). On connaît le profit résultant du choix de chacun de ces équipements. Le décideur souhaitant simplement maximiser son profit, celui-ci devient le critère d’évaluation. La réalité est donc modélisée de la façon suivante. Le graphe de dominance de la figure fait clairement apparaître la relation (I,P). Toutes les actions sont comparables. Il y a au moins une flèche entre chaque paire d’actions. Figure n° 07 : Equipements, profits et graphe de dominance. Dans ce cas-ci, la solution optimale est unique: a3 maximise le profit. Les solutions peuvent également être rangées de la meilleure à la moins bonne. Le classement correspondant est donné comme suit: a3, (a2 et a4 ex aequo), a1 On remarque que le préordre complet comporte des ex-æquo.
Critiques du paradigme monocritère
Les critiques principales de l’approche monocritère pour un problème de décision sont les suivantes:55 – Ne pas tenir compte de la situation d’incomparabilité qui pourtant est une caractéristique bien humaine. Il est en effet fréquent que, comparant deux actions potentielles, un décideur ne parvienne pas à dire laquelle il préfère. – Ne pas considérer qu’il existe des cas où l’indifférence est intransitive. Sous ces hypothèses, la relation caractéristique est donc supposée complète et transitive, ce qui implique qu’un problème monocritère sera toujours représenté par une structure de préordre total. Pour pallier à ces hypothèses qui semblent trop fortes pour pouvoir modéliser un problème dans lequel le facteur humain apparaît, nous introduisons ici un modèle multicritère. 55 -Alain Schärlig; op cit; p38. a1 11 a3 11 a4 11 a1 11 a2 1 1.4- pourquoi l’approche multicritère? Une approche multicritère a comme principale caractéristique de formaliser (ou modéliser) la préparation des décisions. Tout d’abord, elle améliore la transparence du processus de décision. Ensuite, elle définit, précise et met en évidence la responsabilité du décideur. Bernard Roy caractérise le paradigme multicritère comme un «nouveau schéma de pensée pour comprendre ou agir sur un système», en considérant que: – Plusieurs critères sont à l’œuvre pour conduire le système ou guider son évolution. – Ces critères sont, au moins localement, conflictuels. – Les compromis ou arbitrages ont pour objet de conférer aux critères des valeurs compatibles avec une certaine forme d’équilibre et, s’il y a succession, cela tient au caractère transitoire de l’équilibre atteint.