Propriétés des matériaux 2D et problématiques d’intégration
Depuis une quinzaine d’années une nouvelle classe de matériaux, appelée matériaux 2D fait beaucoup parler d’elle, le graphène en tête. Cela touche énormément de secteurs, de la physique théorique à la biologie en passant par la microélectronique, tant leurs propriétés sont prometteuses et diversifiées. Mais que signifie donc ce « 2D » ? Et qu’est-ce que cela implique quant à leurs propriétés et comportement ?
Qu’est-ce qu’un matériau 2D ?
Matériau 2D. Ce nom désigne des matériaux structurés en couches fines et stables ne faisant que quelques atomes d’épaisseur. La frontière est floue entre un matériau 2D et son équivalent massif, car le deuxième n’est qu’un empilement du premier, aussi appelé solide de Van-derWaals, illustré Figure 1. Par exemple le graphite est un empilement de feuillets de graphène. Toutefois, en isolant une de ces couches monoatomiques du reste du matériau massif, ses propriétés changent considérablement. La limite entre matériaux 2D et massifs est floue car le matériau retrouve son comportement massif au fur et à mesure qu’on rajoute des feuillets 2D. En général, un empilement possède des propriétés « 2D » lorsqu’il fait moins d’une dizaine de feuillets monoatomiques. Nous ferons référence aux matériaux 2D par l’abréviation « 2D » par la suite. Le grand rapport de dimension des 2D entraîne également une anisotropie du comportement des 2D et l’on distingue les propriétés « dans le plan » de celles « hors plan ». « Dans le plan » désignant les propriétés et interactions des 2D au sein d’une même couche, et « hors plan » désignant les interactions perpendiculaires aux feuillets 2D. Dans ce manuscrit, toutes les propriétés discutées seront considérées « dans le plan » sauf précision du contraire. Une autre particularité des 2D est qu’ils n’interagissent avec les éléments hors-plan que via les forces de Van-der-Waals (VdW). En effet, leur structure fait qu’ils n’ont pas de liaison pendante hors plan, et donc ils ne peuvent pas former de liaison covalente dans cette direction (en l’absence de défaut). L’interaction des 2D avec leur environnement est d’avantage détaillée dans la partie I.1.4. Mais avant cela, intéressons-nous aux caractéristiques des deux matériaux particulièrement utilisés au cours de cette étude : le graphène et le MoS2. Figure 1: Schéma et image TEM d’un empilement hétérogène de graphène (en bleu sur image de gauche) et de BN (jaune-violet) formant un solide de VdW artificiel [2]. I.1.2 Le graphène 12/200
Le graphène
Structure atomique
Le graphène est le 1er 2D à avoir été isolé et caractérisé expérimentalement en 2004 [1]. Il tire son nom du graphite, dont il est l’élément de base et est donc une structure allotrope du carbone. Il est organisé en maille hexagonale, de paramètre a = 0,245 nm comme montré Figure 2. La distance entre 2 atomes de carbone est identique partout et vaut ~0.142 nm [2]. Dans le cas de multicouche, la distance entre 2 plans de graphène est d’environ 0,4 nm [3]. Ses atomes hybridés sp2 sont reliés entre eux par des liaisons covalentes très énergétiques, ce qui rend la structure globale très résistante. Il a été estimé que le graphène possède un module d’Young de 1 TPa ainsi qu’une résistance à la rupture de 100 GPa [4]. De plus cette liaison difficile à dissocier le rend inerte chimiquement. En revanche il serait inexact d’imaginer le graphène comme une feuille plate et immobile. En effet, les récentes théories et simulations montrent que le graphène se comporte plus comme une membrane en vibration [4]. Cela vient du fait que le graphène n’est pas stable thermodynamiquement en restant « plat ». Autre propriété intéressante, liée au point précédent : le graphène possède un coefficient de dilatation thermique négatif sur la plage de température de 200 à 1000 K [5, 6, 7], ce qui a des conséquences lors de sa synthèse (voir partie III.3.2).
Structure de bande et propriétés électroniques
La structure de bande d’un feuillet de graphite a été étudiée théoriquement dès 1947 par P. R. Wallace [8]. Le graphène est considéré comme un semi-métal car ses bandes de valence et de conduction se touchent au point de Dirac, tel qu’illustré Figure 3. La largeur de sa bande interdite est donc nulle en ce point particulier. Sa structure électronique et son état de matériaux 2D lui ont donné une mobilité électronique théorique extraordinaire : 200 000 cm2 .V-1 .s -1 [9]. Cela s’explique par le fait que les électrons des orbitales PZ perpendiculaires au plan du graphène peuvent se déplacer librement sur toute la surface, formant ce qu’on appelle un gaz d’électron [8]. Ainsi les électrons ont un déplacement balistique, contrairement à leur comportement dans un matériau massif. En pratique, les mobilités mesurées sont plus faibles et dépendent de la taille des grains, de la méthode de transfert et du substrat cible. Le graphène produit par CVD et transféré par un procédé wet a une mobilité de l’ordre de 1000 – 5000 cm2 .V-1 .s -1 tandis qu’une exfoliation au scotch sur substrat de h-BN peut dépasser les 50 000 cm2 .V -1 .s -1 à température ambiante [10]. Figure 2 : Schéma de la structure cristallographique du graphène [3]. Chapitre I : Introduction aux matériaux 2D, leurs synthèses et leurs méthodes de transfert pour différentes applications 13/200 Parmi ses autres propriétés notables, il y a sa très bonne conduction thermique de 2*103 à 5*103W.mK-1 [11], ainsi que sa transparence, avec une transmittance de près de 97% pour une monocouche [12]. N’étant pas semi-conducteur, le graphène n’est pas utilisable seul pour la fabrication de composants microélectroniques. Toutefois, sa grande mobilité électronique permet de l’intégrer dans de nombreuses structures, qui seront l’objet de la partie I.1.4.
Le MoS2
Structure atomique du MoS2
Le MoS2 fait partie de la famille des Dichalcogénures de Métaux de Transition (TMD), qui partagent tous la même structure. Il était connu sous sa forme massive et utilisé comme lubrifiant solide bien avant la découverte de ses propriétés 2D. Il fait partie de ces matériaux analogues au graphène organisés en feuillets de structure hexagonale. Toutefois ces feuillets ne sont pas composés d’un seul atome, mais d’une molécule formée d’un atome métallique Figure 3 : Structure de bande électronique du graphène en monocouche et représentation schématique du point de Dirac [9]. Figure 4 : Schéma de la structure cristallographique des TMDs .
Le MoS2 14/200 de transition (Mo) et de deux chalcogènes (S), comme décrit Figure 4. Au sein de la molécule, les atomes sont reliés par des liaisons covalentes, tandis que les feuillets entre eux sont reliés par des forces de VdW et espacés de 0.65 nm [14]. Tout comme le graphène, le MoS2 forme une maille hexagonale, avec comme paramètres : a ~ 0.316 nm et c ~ 1.23 nm [15]. Cette structure lui confère également de très bonnes propriétés mécaniques dans le plan, comme un module d’Young estimé à 0.33 TPa [14].
Structure de bande et propriétés électroniques
Contrairement au graphène, le MoS2 est un matériau 2D semi-conducteur dont le gap varie avec le nombre de couche. Ce qui, en plus de ses propriétés optoélectroniques, intéresse fortement le secteur de la microélectronique [15]. En effet le MoS2 a un gap direct de 1.8 eV pour une monocouche, illustré Figure 5, puis 1.6 eV pour une bicouche qui évolue progressivement jusqu’à un gap indirect de 1.29 eV pour le matériau massif [16]. Le nombre de couches affecte aussi sa photoluminescence, qui est très intense autours des 600-660 nm en monocouche, et diminue rapidement lorsque le matériau s’épaissit, pour disparaître totalement dans le MoS2 massif. En théorie, le MoS2 a également une bonne mobilité électrique, à 500 cm2 .V-1 .s-1 [17, 18]. Toutefois, celle-ci n’est atteinte que dans des conditions idéales, et expérimentalement les valeurs obtenues sont plutôt de l’ordre de 100-200 cm2 .V-1 .s-1 pour des monocristaux exfoliés mécaniquement, et autours de 1-20 cm2 .V-1 .s-1 par croissance CVD [17, 18, 19]. Cette baisse de mobilité est attribuée en partie au substrat (voir partie I.1.4) et en partie aux défauts comme les joins de grains (voir partie III.3.3). Cependant, les propriétés intrinsèques des 2D ne sont pas la seule chose à prendre en compte Figure 5 : Structure de bande électronique d’une mono-couche de MoS2 et le diagramme DOS associé. [13] Chapitre I : Introduction aux matériaux 2D, leurs synthèses et leurs méthodes de transfert pour différentes applications 15/200 pour imaginer leurs applications possibles. En effet, leur ratio de taille les rend particulièrement sensibles à leur environnement, comme nous allons le voir.
Interactions des 2D avec leur environnement
Forces de Van-der-Waals Comme indiqué précédemment, les 2D interagissent principalement avec leur environnement via les forces de VdW. Dans un premier temps, il est donc important d’introduire ce que sont ces forces de VdW. Les forces de VdW désignent une force attractive due à une interaction électrique de faible intensité (interaction dipôle-dipôle). On les nomme « forces » au pluriel car c’est la somme de 3 forces distinctes : La force de Keesom, la force de Debye et la force de London [20]. Sans renter dans les détails, la force de Keesom régit les interactions entre deux dipôles permanents. Celle de Debye régit la relation entre un dipôle permanent et un dipôle induit et enfin, la force de London correspond à l’interaction entre deux dipôles induits. Les forces de VdW sont prédominantes à des échelles de quelques nanomètres, soit 1 à 2 ordres de grandeur plus loin que les liaisons chimiques [21]. Et leur intensité diminue rapidement lorsque la distance augmente au-delà, comme montré sur la Figure 6. C’est une force plus faible que la liaison covalente ou que la liaison ionique, avec des énergies d’interaction de l’ordre de 4 à 40 meV par paire d’atome [20]. Ce qui fait que les feuillets au sein des solides de VdW peuvent « glisser » ou se détacher facilement les uns des autres. De plus, ce type d’interaction explique la faible force d’adhérence entre un film 2D et son substrat (voir partie I.1.5). Toutefois, d’un point de vue global, la somme des forces de VdW est d’autant plus importante que la surface de contact, à distance minimale, est grande par rapport au volume du matériau. Pour le cas des 2D, qui ne sont que surface, la conformation au substrat va donc jouer un rôle prépondérant. De plus les forces de VdW entrent également en jeu dans les phénomènes de physisorption et de capillarité, ce qui a de nombreuses conséquences pour les 2D comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant. Figure 6 : Energie des forces de VdW entre le graphène et un substrat de Ni en fonction de la distance [21] I.1.4 Interactions des 2D avec leur environnement 16/200 I.1.4.2 Effet de l’environnement sur les matériaux 2D De par leur épaisseur et structure, les 2D sont particulièrement sensibles à la nature électrostatique et à la topographie de leur substrat. En effet au niveau de la zone de contact, les interactions électroniques entre deux matériaux interfèrent avec la structure de bande de la couche atomique de surface. Ce phénomène est souvent négligeable pour les matériaux massifs, mais prédominant pour les matériaux 2D, qui ne possèdent qu’une seule couche atomique. Cela peut se traduire à travers différents effets pour les 2D : – La création de déformations périodiques à cause de la différence paramètre de maille entre le 2D et le substrat [22]. – Un dopage artificiel par transfert de charge. Par exemple un substrat de Pt dope positivement le graphène à hauteur de 0.3 eV [23]. – Une diminution de la mobilité électrique par dispersion électronique due aux charges. Par exemple un substrat de SiO2 limite généralement la mobilité des électrons dans le graphène à 40 000 cm2 .V-1 .s-1 [9]. – Une modification du coefficient de dilatation thermique [7]. – Une modification des propriétés électroniques : le MoS2 passerait ainsi d’un comportement semiconducteur à métallique lorsqu’il est en contact avec de l’or (Figure 7) [24]. De plus, la grande surface des 2D peut adsorber des molécules d’eau ou d’oxygène de l’environnement, ce qui est par exemple suffisant pour doper le graphène de l’ordre de 2*1012 cm-2 par simple exposition à l’air [25]. Bien qu’il ait été théoriquement démontré que la rugosité a une énorme influence sur les forces de VdW [26], très peu d’études expérimentales ont étudié la relation entre interaction 2D et rugosité. Ce problème est d’autant plus complexe qu’il dépend de la capacité de chaque 2D à se conformer à son substrat ; la rigidité des 2D augmentant également avec le nombre de couches considérés [27]. Cette influence du substrat est particulièrement problématique lorsque l’on souhaite mesurer les propriétés intrinsèques des 2D, nécessitant par exemple de suspendre les 2D au-dessus de cavités .
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