Origines et production des aflatoxines
Les aflatoxines ont été découvertes pour la première fois en 1960 en Grande-Bretagne, lorsque des milliers de dindons sont morts suite à une consommation de tourteaux d’arachide. Dans les années suivantes, des études plus poussées ont permis de mettre en évidence les aflatoxines ainsi que leur toxicité.
Les aflatoxines sont formées à partir de polyacétoacides selon un processus très complexe . Les champignons mycotoxiques sont tous pour la plupart du temps issu de ces polycétides provenant ainsi de la voie métabolique de l’acétate.
Les aflatoxines sont un groupe de 18 composés organiques aromatiques structurellement proches. Elles sont issues d’un assemblage entre une coumarine et 3 furannes. Ce sont des mycotoxines produites par des moisissures appartenant à la famille des Aspergillus. Les Aspergillus sont des champignons de forme filamenteuse omniprésents. Ils sont cosmopolites et peuvent se développer et produire des toxines plus facilement dans les régions chaudes et humides des pays d’Afrique, d’Asie et d’Inde. Ces micro-organismes s’accommodent à presque toutes les conditions pour se développer dans le sol ou à la surface des graines végétales (arachides, haricots…) mal conservées, dans une atmosphère humide et à une température élevée.
Les Aspergillus flavus et parasiticus sont les deux principaux champignons qui produisent les aflatoxines . Ils se développent très souvent en milieu humide et à une gamme de températures assez large (se situant entre 10 et 48°C) avec une température optimale tournant autour de 32-33°C . Le domaine de pH favorable à la croissance de ces bactéries (pH compris entre 2,4 et 10,5) encadre les pH environnementaux. Le pH optimal est de 7,5 et l’humidité relative de 80 à 85 % . En dehors de ces facteurs, le temps de stockage et la composition gazeuse de l’environnement peuvent aussi influencer la croissance des champignons. En effet, les Aspergillus sont des champignons très aérobies. Des études ont montré que la croissance de l’Aspergillus dans les graines d’arachides varie en fonction de la concentration en dioxyde de carbone (CO2), en azote (N2) et plus particulièrement en oxygène (O2).
Ainsi, la production d’aflatoxines par les champignons sur les graines d’arachide décroit avec l’augmentation de la teneur en dioxygène du milieu et est pratiquement inhibée lorsque la proportion en O2 est inférieure à 1%.
Les différentes familles d’aflatoxines
On dénombre à ce jour environ une vingtaine d’aflatoxines. Cependant, des études menées depuis plusieurs années ont montré une prédominance des aflatoxines B et G.
En dehors de celles-ci, on a les aflatoxines M qui sont issues du métabolisme des aflatoxines B et que l’on trouve principalement dans l’urine et le lait des mammifères.
Aflatoxines B1 et B2 : Les aflatoxines B sont constituées de deux cycles furanes (composé hétérocyclique oxygéné C4H4O), d’une coumarine (cycle benzénique avec un dérivé méthoxy), d’un cycle lactone (ester cyclique) et d’un cyclopentanone . Elles sont produites principalement par l’Aspergillus flavus. Cependant, des souches d’Aspergillus parasiticus peuvent également engendrer ces aflatoxines.
L’aflatoxine B1 est la plus répandue, mais aussi la plus toxique de toutes les aflatoxines. Elle est toujours considérée comme la plus cancérigène et a fait l’objet de nombreuses études.
La quasi-totalité des autres aflatoxines dérive de celle-ci et sa structure fut élucidée en 1961. Les aflatoxines B2 diffèrent des premières d’un point de vue structural par l’absence de la double liaison sur le premier cycle furane. Cependant, elles ont des propriétés voisines.
Aflatoxines G1 et G2 : La structure chimique des aflatoxines G est très proche de celle des aflatoxines B. Ainsi, à la place du cyclopentanone présent dans la forme B, nous avons dans le cas de l’aflatoxine G un autre cycle lactone. Tout comme pour les formes B1 et B2, les formes G1 et G2 se différencient par la double liaison sur le premier cycle furane . Ces aflatoxines sont des métabolites secondaires issus principalement des champignons d’Aspergillus parasiticus.
Aflatoxines M1 et M2 : Les aflatoxines M sont des aflatoxines B possédant un groupement hydroxyle OH entre les deux furanes . Elles sont principalement produites par une synthèse métabolique (oxydase microsomal) dans l’organisme des mammifères en particulier dans le foie à partir des aflatoxines B. Elles sont moins fréquentes dans la nature que les précédentes et ont été trouvées pour la première fois dans le lait .
Devenir des aflatoxines
Les aflatoxines peuvent être dégradées ou transformées par des enzymes ou des microorganismes en d’autres mycotoxines plus ou moins toxiques. Ces transformations peuvent se réaliser dans la nature, dans l’organisme des mammifères ou dans les produits alimentaires.
Modes de dégradation dans l’environnement : Des travaux ont été réalisés ces dernières années sur la transformation des aflatoxines dans la nature et plus spécialement l’aflatoxine B1. Certaines bactéries du sol telles que le Flavobacterium aurantiacum ou le Mycobacterium fluoranthenivorans dégradent l’aflatoxine B1 en l’utilisant comme source de carbone.
Des organismes protozoaires comme le Tetrahymena pyriformis ou d’autres souches d’Aspergillus flavus non toxicogènes peuvent aussi convertir l’aflatoxine B1 en aflatoxine moins toxique.
Voies d’exposition et évolution des aflatoxines chez l’homme : L’ingestion d’aflatoxines par les hommes peut se faire à partir des aliments d’origine végétale et animale, mais aussi par inhalation. C’est le cas par exemple de la consommation d’arachides, de maïs, de fruits à coques, d’huile, de fruits secs, d’épices … contaminés.
Cependant, des cas d’aflatoxicoses aigues sont rarement constatés chez les humains. Par contre, du fait de la régularité dans l’utilisation de produits contaminés, des cas de toxicité chronique peuvent être observés. Ainsi le caractère cancérigène des aflatoxines est reconnu depuis très longtemps par l’IARC. Les effets pathogènes de l’aflatoxine concernent particulièrement le foie à cause de l’activité oxydasique de l’aflatoxine B1. L’aflatoxine B1 peut ainsi être transformée dans l’organisme par hydroxylation ou oxydoréduction. Dans le foie, l’aflatoxine peut subir une dégradation conduisant à la formation de l’aflatoxine dihydrodiol. Cette transformation passe par l’apparition d’un intermédiaire réactionnel : l’aflatoxine B1-8,9-époxyde . Ce composé peut former par interaction avec l’ADN des adduits AFB-N7-Guanine qui sont impliqués dans le processus cancérigène des aflatoxines .
Transfert dans les produits animaux : L’exposition des produits animaux aux toxines est toujours considérée comme une préoccupation dans la gestion de la sécurité alimentaire. Tout comme pour les aliments agricoles, le risque élevé de contamination de la nourriture par les aflatoxines constitue un réel problème. Cette contamination par les aflatoxines est dans la plupart observée dans les produits laitiers dont le transfert vers les mammifères a été vérifié à partir de la consommation d’aliments contaminés . Ainsi dans le lait, l’aflatoxine y est particulièrement stable même après les processus de transformation ou de stérilisation. Une consommation régulière de lait contaminé constitue ainsi un facteur aggravant le risque d’exposition de l’homme, surtout pour les nourrissons qui sont plus sensibles aux effets des toxines.
Les aflatoxines ont aussi été détectées dans le foie, la viande de volailles, de porcs et de ruminants. Tout ceci fait que les aflatoxines sont devenues un réel défi pour la gestion des problèmes sanitaires.
Lutte contre les aflatoxines
Élaborer des outils et combinaisons efficaces pour lutter contre les aflatoxines s’avère être indispensable pour une gestion des risques de contamination pour les hommes et les animaux. Cette lutte peut être élaborée sur deux fronts : une lutte préventive qui consiste à empêcher le développement des moisissures en agissant sur les champignons Aspergillaires et une lutte curative où il s’agira de développer des méthodes adéquates pour éliminer les toxines dans les aliments contaminés.
Prévention contre les moisissures : Les principales causes du développement des moisissures produisant l’aflatoxine durant le stockage sont : l’humidité, la température, le pH du milieu ambiant. Un contrôle efficace de ces différents facteurs pourrait contribuer à réduire considérablement la contamination par les aflatoxines. Pour cela, une attention particulière doit être portée sur les périodes de semis et de récolte, le nettoyage, le séchage des produits et les lieux de stockage. En effet, la période de séchage des graines est une étape très propice à la contamination. Il est donc important de réduire la durée de cette phase. Cependant, procéder à un séchage trop rapide pourrait dénaturer ou détériorer le produit. Il est aussi nécessaire de mettre en place des aménagements qui permettent une rotation des cultures ainsi que l’utilisation des variétés de cultures moins sensibles aux attaques des champignons.
Des travaux ont montré que les insectes sont responsables de la plupart des contaminations des graines par les Aspergillus. Il s’avère donc nécessaire de lutter contre ces espèces nuisibles par l’emploi d’insecticides par exemple.
L’utilisation du dioxyde de carbone qui inhibe le développement des champignons et de leurs toxines s’avère être efficace lors du séchage des produits agricoles. Une autre méthode de lutte contre les aflatoxines repose sur le triage des graines. Au Sénégal, les triages avant le décorticage sont généralement effectués manuellement par les producteurs d’arachides. Le procédé consiste à séparer les graines trouées, fendues, ou rongées par des insectes, des graines à apparences normales. Ces méthodes offrent des résultats satisfaisants.
Cependant, selon M. Diom , ces mesures préventives doivent être appliquées de manière continue. En effet, la croissance des Aspergillus et la production d’aflatoxine sont des phénomènes progressifs et cumulatifs. L’arrêt de leur évolution par le séchage ou par une baisse de température ne tue pas le champignon et n’élimine pas l’aflatoxine déjà produite. La production d’aflatoxine reprend dès que les conditions sont de nouveau favorables.
Les méthodes de prévention étant insuffisantes, d’autres procédés peuvent être nécessaires puisque la détoxication n’est pas souvent totale dans les produits concernés.
Lutte contre les toxines
La chaleur : Les aflatoxines sont peu sensibles à la chaleur. Elles peuvent persister dans les aliments pendant des heures à des températures supérieures à 100 °C. Cependant lorsque le produit est humide, l’augmentation de la température peut causer une destruction de la molécule. Ce procédé reste donc peu efficace pour éliminer totalement les aflatoxines dans les aliments. Un agent de transformation : Il peut être un microorganisme ou une enzyme capable de dégrader ou de convertir une mycotoxine en produit moins toxique ou inactif . Ainsi certaines bactéries du sol [Flavobacterium aurantiacum, Mycobacterium fluoranthenivorans] et des organismes vivants [Eubacterium souche BBSH 797] dégradent l’AFB1 en utilisant la toxine comme source de carbone. D’autres agents comme les protozoaires Tetrahymena pyriformis ou certaines souches d’Aspergillus flavus sont capables de convertir l’AFB1 en aflatoxine moins toxique .
Un agent absorbant : c’est une substance qui est capable de capter et de faciliter l’élimination des mycotoxines. On distingue les absorbants inorganiques qui regroupent principalement les charbons actifs, les aluminosilicates, les résines synthétiques et les absorbants organiques qui sont biodégradables et moins sélectifs .
L’attapulgite : C’est une technique qui permet d’éliminer les aflatoxines dans l’huile produite artisanalement. Elle consiste à mélanger de l’huile contaminée avec de l’attapulgite de sorte à avoir une suspension homogène et le tout sera décanter, ensuite filtrer.
Ce dispositif permet d’éliminer l’aflatoxine à presque 100% selon Amadou Kane . En dehors de ces techniques, d’autres moyens de lutte légaux tels que l’irradiation, l’extraction, certains traitements chimiques … peuvent être utilisés.
Aflatoxine et santé animale
Les premiers cas d’aflatoxicoses chez les animaux furent observés dès 1960 en Grande-Bretagne suite à la mort en masse de dindes. La maladie ayant entrainé ces dégâts se manifestait par une perte d’appétit, un sommeil léthargique suivi de la mort quelques jours après l’apparition de ces signes. Une autopsie a révélé que leurs foies étaient sévèrement endommagés.
Les pathologies animales liées aux aflatoxines varient d’une espèce à l’autre. Les animaux comme le veau, le poulet, le caneton, le cobaye et le porc sont plus sensibles à l’AFB1 que la chèvre, le mouton, le rat et la souris . Ceci pourrait s’expliquer en partie par les régimes alimentaires souvent riches en céréales pour certains animaux, mais aussi par le fait qu’ils soient monogastriques ; ce qui favoriserait une absorption de près de 90 % de la quantité d’aflatoxine consommée . Les animaux se nourrissant des restes de l’alimentation humaine présentent des risques plus élevés du fait de la mauvaise conservation de ces aliments qui entrainent l’apparition de moisissures sous l’effet de l’humidité.
La cancérogénicité de l’aflatoxine chez les animaux fut élucidée en 1971. Le porc fait partie des animaux les plus sensibles avec une dose létale DL50 de 0,62 mg/Kg de poids. La mort survient rapidement quelques heures après l’apparition des symptômes suite à une intoxication chronique. Chez les volailles, les risques de contamination et d’aflatoxicoses varient selon les espèces, la durée d’exposition, la dose ingérée, mais aussi l’âge de l’animal. Le foie, les reins et l’estomac sont les principaux organes attaqués par les toxines et leurs métabolites.
Des lésions internes sont observées pour des doses de l’ordre de 0,1 mg/kg d’aliment chez le canard; 0,3 à 0,5 mg/kg chez la dinde et 0,5 à 2 mg/kg chez le poulet.
Les autres ruminants sont aussi exposés. Les aflatoxines peuvent être détectées dans leur sang 30 minutes après leur ingestion . On observe les mêmes symptômes dans la plupart des cas : altération des fonctions hépatiques et digestives, perte de poids, baisse de la production laitière… Ces signes peuvent être observés lors d’une ingestion d’une quantité d’aflatoxine B1 comprise entre 1,5 et 2,23 mg/Kg d’aliment chez les bovins adultes et à partir de 50mg/Kg chez les petits ruminants.
Les bovins sont aussi sensibles aux aflatoxines, avec des picotements, de la gangrène qui évolue vers la formation d’un caillot dans un vaisseau sanguin ou dans une cavité du cœur pouvant conduire jusqu’à l’arrêt ou le ralentissement de la circulation sanguine. Les ovins sont quant à eux moins sensibles. Seule une perte de l’appétit et des inflammations du tube digestif sont observées .
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : GENERALITES SUR LES AFLATOXINES
I. Origines et production des aflatoxines
II. Les différentes familles d’aflatoxines
II.1. Aflatoxines B1 et B2
II.2. Aflatoxines G1 et G2
II.3. Aflatoxines M1 et M2
III. Propriétés physico-chimiques
IV. Facteurs influençant la teneur en aflatoxine
IV-1. Facteurs physiques
IV-1.1. Teneur en eau et humidité
IV-1.2. Température et atmosphère
IV-2. Facteurs chimiques
IV-2.1. Composition chimique du substrat
IV-2.2. Le pH
IV-3. Autres facteurs
V. Devenir des aflatoxines
V-1. Modes de dégradation dans l’environnement
V-2. Voies d’exposition et évolution des aflatoxines chez l’homme
V-3. Transfert dans les produits animaux
PARTIE II: LES ENJEUX SANITAIRES
I. Présence des aflatoxines dans les aliments
I-1. Les aflatoxines dans l’arachide
I-2. Les aflatoxines dans le lait et les produits laitiers
I-3. Les aflatoxines dans d’autres aliments
I-4. Les aflatoxines dans les aliments pour animaux
II. Toxicité des aflatoxines
II-1. Toxicité aiguë
II-2. Toxicité chronique
III. Impacts des aflatoxines sur la santé
III-1. Aflatoxine et cancer
III-2. Aflatoxine et autres maladies
III-3. Aflatoxine et santé animale
IV. Conséquences économiques
V. Lutte contre les aflatoxines
V-1. Prévention contre les moisissures
V-2. Lutte contre les toxines
PARTIE III : LES METHODES D’ANALYSE DES AFLATOXINES
I. Préliminaires d’analyse
II. Méthodes chromatographiques
II.1. Chromatographie sur couche mince (CCM)
II-2. Chromatographie liquide à haute performance (CLHP)
III. Méthodes enzymatiques : la méthode ELISA
IV. Etude comparative des différentes méthodes
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES