Qu’entend-on par tourisme durable ?
Des promesses évolutives et des discours flous Introduction intermédiaire Tourisme durable, tourisme responsable, solidaire, équitable, participatif, ou encore éco-tourisme! Il est difficile de s’y retrouver parmi ces nombreux termes qui sont souvent confondus et peu compris. Tous sont liés au respect des principes du développement durable, un développement « qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins » (Rapport Bruntland, 1987) . Il est nécessaire dans un premier temps de comprendre l’évolution de ce concept, une évolution parallèle à la croissance fulgurante de l’industrie du tourisme qui entraîne des conséquences alarmantes sur l’environnement, l’économie et les populations des destinations visitées. Nous allons dans cette première partie voyager dans l’histoire pour comprendre que le concept de tourisme durable est né d’une confrontation de l’économique avec l’éthique et qu’aujourd’hui, les visions responsables et éthiques font leur apparition à travers divers canaux. Même si cette tendance reste timide, elle s’inscrit lentement dans la conscience du public qui sait maintenant qu’il est possible de voyager autrement. Nous allons voir que de nombreuses variantes sont proposées aux voyageurs pour sortir de « l’autoroute » du tourisme de masse, que ce soit en France ou à l’autre bout du monde. Même si le concept de tourisme durable demeure encore flou, il existe une demande qui augmente d’année en année selon des études récentes menées par les professionnels du tourisme. Ce phénomène ne peut être ignoré et nous allons voir comment il rejoint les changements de paradigmes que notre société est en train de traverser. Nous sommes tous en quête de sens et remettons en question les fondations sur lesquelles tous nos systèmes de valeurs se sont construits. Nous sommes en train de revoir notre façon de nous nourrir, notre façon de travailler, d’apprendre, nous allons inévitablement changer notre façon de voyager et d’aller rencontrer l’Autre. Nous verrons donc quelles sont les attentes de ces voyageurs et comment les acteurs du tourisme, que ce soient des voyagistes classiques, alternatifs ou des destinations, y répondent dans leur communication. 1. Une notion qui reste encore floue Avant de nous intéresser à l’histoire du concept de tourisme durable, il est pertinent de nous interroger sur le terme durable. En français, l’adjectif « durable » selon le dictionnaire Larousse, qualifie un objet ou une situation qui dure longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance. Cela ne traduit pas précisément le terme anglais « Sustainable ». La définition du dictionnaire anglais Collins Cobuild est la suivante : « To maintain something or to keep it going for a period of time » (maintenir, soutenir quelque chose ou lui permettre de perdurer sur une période de temps). Nous notons une réelle différence entre les termes anglais et français et il doit avoir autant de nuances que de traductions en des langues différentes. La langue espagnole fait la différence entre les termes « sostenible » et « sustentable », nuance que l’on trouve dans les ouvrages de spécialistes du tourisme durable, mais pas toujours dans la communication des acteurs touristiques. Le terme « sostenible » désigne l’acte d’adapter ses pratiques aux conditions actuelles, pour ne pas changer de modèle économique et de comportements. « Sustentable », qui s’apparente davantage au terme anglais Sustainable, va plus loin, implique le fait de changer de paradigme, c’est-à-dire de système et de comportement. « Sustentable » désigne un procédé qui s’auto-soutient grâce à ses propres moyens et ressources, contrairement au terme « sostenible » qui a besoin pour survivre de ressources extérieures. La « sustentabilidad » est plus complexe et difficile à atteindre. Si les termes dans des langues différentes n’ont pas la même connotation, il paraît difficile pour tous les acteurs de s’entendre sur une définition précise.
Un peu d’histoire : d’une vision économique à un discours plus éthique
Dans les années 1950 et 1960, le tourisme international a connu une forte croissance grâce au développement du transport aérien, la baisse des coûts de transport, la hausse du pouvoir d’achat et la démocratisation des voyages. Des discours opposés sur le tourisme sont alors apparus. D’une part, une mouvance plutôt constituée d’anthropologues a accusé le tourisme de contribuer à une dégradation identitaire des sociétés d’accueil. De l’autre, des économistes ont vu dans le tourisme une formidable opportunité de développement économique pour les pays en développement20. Cette seconde vision a été adoptée par les Nations-Unies en 1963 lors de la conférence de Rome. Cependant, l’UNESCO a présenté au cours de cette conférence un rapport qui stipule « la culture et l’économie touristique, au lieu de se tenir en opposition, dérivent d’un avantage réciproque l’une de l’autre » (Sessa 1967 : 117)21. A partir de cette date le tourisme culturel est cité en opposition au tourisme de masse. En 1980, l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) lors de la Conférence de Manille affirme la primauté des aspects culturels sur les facteurs économiques et donne lieu à la rédaction de la charte du tourisme qui insiste sur les valeurs de compréhension et de respect entre les peuples. La même année le concept de développement durable fait son apparition (Sustainable Development) utilisé par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). En 1987, le rapport Bruntland, intitulé « Notre avenir à tous »23, est considéré comme le texte fondateur du développement durable « qui doit répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » 24. En 1992, la Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement qui réunit plus de 170 dirigeants mondiaux 20 Michaud, J. (2001). Anthropologie, tourisme et sociétés locales au fil des textes. Anthropologie et Sociétés, 25(2), 15–33. doi:10.7202/000231ar 21 Saskia Cousin, « L’Unesco et la doctrine du tourisme culturel », Civilisations [En ligne], 57 | 2008, mis en ligne le 30 décembre 2011, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://civilisations.revues.org/1541 ; DOI : 10.4000/civilisations.1541 22 Ibid. 23 La présidence de cette commission fut confiée à Madame Gro Harlem Brundtland, alors Premier ministre de la Norvège. 24 http://www.novethic.fr/lexique/detail/rapport-brundtland.html 21 préconise un plan d’actions dans le cadre de l’Agenda 21 (pour 21e siècle)25. Trois « niveaux » territoriaux apparaissent dans la Déclaration : l’international, le national et le local. C’est l’Etat qui est considéré comme étant au cœur du processus en légiférant, en accordant les moyens nécessaires au niveau local et aux populations locales, de participer à l’élaboration d’un développement durable. L’année 1995 est essentielle car l’UNESCO, l’OMT et le programme des Nations Unies signent une charte à Lanzarote (Canaries) qui constitue une sorte de code de conduite destiné aux gouvernements, aux pouvoirs publics, aux professionnels du tourisme, aux associations et aux touristes eux-mêmes. Ceux-ci ne vont plus être considérés comme de simples consommateurs. Leur « responsabilité » est maintenant évoquée et ils sont eux-mêmes considérés comme partenaires. Même si cette charte pose les bases d’une politique touristique, elle ne constitue en aucun cas un texte juridique contraignant. En 1999, le Code mondial d’éthique du tourisme est adopté à Santiago du Chili et reprend les grands principes de la charte de Lanzarote. Mais on lui reproche d’être trop orienté sur les intérêts de l’industrie touristique et sur la protection des droits des voyageurs. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’OMT est composée essentiellement de professionnels du tourisme. L’intérêt que suscite le tourisme durable dans la communauté internationale s’amplifie en 2002 lors du sommet mondial de Johannesburg qui préconise la promotion du tourisme durable comme l’une des stratégies de protection et de gestion des ressources naturelles qui sont à la base du développement économique et social 27 . En 2004, l’Organisation Mondiale du Tourisme redéfinit la notion de tourisme durable : « Les principes directeurs du développement durable et les pratiques de gestion durable du tourisme sont applicables à toutes les formes de tourisme dans tous les types de destination, y compris au tourisme de masse et aux divers créneaux touristiques. Les principes de durabilité concernent les aspects environnemental, économique et socioculturel du développement du tourisme. Pour garantir sur le long terme la durabilité de ce dernier, il faut parvenir au bon équilibre entre ces trois aspects. 28» On assiste alors à un élargissement de la notion de développement durable qui doit s’appliquer à tout type de tourisme, y compris à l’industrie touristique traditionnelle dite de masse29 . Enfin, en 2012, 20 ans après le Sommet de Rio, les Nations Unies ont organisé dans la même ville la Conférence Rio+20. L’occasion pour le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) d’établir un bilan, plutôt alarmant, et d’envisager de réorienter le développement de la planète. De nouvelles réflexions sur la durabilité de l’économie ont mis en exergue le rôle que peut avoir le tourisme durable comme instrument d’une croissance verte pour chaque économie nationale.
Des concepts flous issus des chartes nationales et internationales
Nous avons vu supra que des messages éthiques émanaient d’institutions internationales. Ces discours doivent être repris par les gouvernements membres. Leur rôle est fondamental pour que ces notions soient respectées car c’est l‘Etat qui coordonne les actions des entreprises touristiques pour aboutir à une action collective. C’est l’Etat encore qui va encourager les pratiques durables dans le secteur privé en instaurant des normes ou qui va mettre en œuvre des actions d’aménagement du territoire ou de protection de l’environnement. En France, le secrétariat d’Etat au Tourisme a publié la charte éthique du tourisme en 1999. Elle a été rédigée en concertation avec les professionnels du secteur, et reprend très 28 OMT, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/popup/Knafou.htm 29 D’après ces principes, le tourisme durable doit : 1. Exploiter de façon optimum les ressources de l’environnement qui constituent un élément clé de la mise en valeur touristique, en préservant les processus écologiques essentiels et en aidant à sauvegarder les ressources naturelles et la biodiversité ; 2. Respecter l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil, conserver leurs atouts culturels bâtis et vivants et leurs valeurs traditionnelles et contribuer à l’entente et à la tolérance interculturelles ; 3. Assurer une activité économique viable sur le long terme offrant à toutes les parties prenantes des avantages socioéconomiques équitablement répartis, notamment des emplois stables, des possibilités de bénéfices et des services sociaux pour les communautés d’accueil, et contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté largement les principes énoncés dans le Code mondial d’éthique du tourisme. Les professionnels, signataires de la charte, obtiennent la délivrance du label « Tourisme et éthique ». Mais ce label n’a aucune valeur contraignante ou coercitive, par conséquent peu de valeur. Des professionnels ont également à cette époque créé leur propre charte comme par exemple le voyagiste Atalante en 1997 en partenariat avec l’éditeur Lonely Planet. Cette charte s’adresse uniquement aux voyageurs pour les inciter à adopter un comportement adapté sur le site de leur destination. La notion mise en avant est le respect. Cette charte responsabilise le voyageur qui est averti des bonnes pratiques à adopter et qui s’engage à les appliquer 30 . De nombreux voyagistes alternatifs ont eux-mêmes édité par la suite leur propre charte, toutes déclinées des codes nationaux et internationaux. Afin de voir comment est défini le terme de tourisme durable, nous avons fait une recherche sur Google. Sont apparus plus de cinq millions de résultats. Il est difficile en lisant les premières énonciations d’avoir une définition précise. Les premiers liens qui apparaissent donnent des définitions basées sur celle de l’OMT: « Un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil32 ». En quatrième position, le site de l’agence canadienne Passion Terre ajoute à la définition classique que ce type de tourisme est « alternatif », car lui-même reconnaît que tous ces termes sont flous. Il propose d’expliquer les différents types de tourisme concernés. Une énonciation contraire à la définition de l’OMT qui considère que « les principes directeurs du développement durable et les pratiques de gestion durable du tourisme sont applicables à toutes les formes de tourisme dans tous les types de destination, y compris au tourisme de masse et aux divers créneaux touristiques34 ». Cette vision de l’OMT nous paraît utopique car elle tente de « réunir l’inconciliable en voulant faire du tourisme de masse durable35 ». On peut penser que l’on mélange deux notions contradictoires, ce qui peut nuire à l’image du tourisme durable, car des formes de tourisme très éloignées du concept peuvent être « étiquetées de tourisme durable » en affichant avoir mis en œuvre quelques mesures pour améliorer leur performance environnementale. Le tourisme durable servirait des fins marketing, pour attirer un certain type de clientèle ou/et améliorer son image. On parle alors de « Green washing », ou en français d’éco blanchiment, qui consiste pour une entreprise à orienter ses actions marketing et sa communication vers un positionnement écologique36 .
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