Opération d’une centrale DSG avec stockage thermique
Le concept de stockage thermique mixte à trois étages
Le palier isotherme de vaporisation/condensation de l’eau dans un champ solaire DSG complexifie la restitution de chaleur de la vapeur à un dispositif de stockage, car la température de condensation constante rend difficile le maintien d’un différentiel de température optimal si un matériau de stockage sensible est utilisé. La solution vient alors de l’utilisation d’un système mixte à trois étages, composé d’un premier étage dédié à la désurchauffe (ou surchauffe en mode déstockage) de la vapeur et utilisant un matériau de stockage sensible, un second étage utilisant un matériau à changement de phase pour la condensation (vaporisation) de la vapeur (eau), puis un nouvel étage sensible pour le sousrefroidissement (préchauffe) de l’eau. La figure ci-dessous à droite illustre le concept, tandis que celle de gauche illustre un stockage sensible classique. L’utilisation du matériau à changement de phase permet de suivre le palier de condensation/vaporisation et d’optimiser énergétiquement le procédé. La figure ci-dessous schématise une centrale DSG (en mode recirculation) disposant d’un tel stockage. La figure provient d’une étude conceptuelle du DLR et de Siemens Power Generation [2], qui sont les premiers à proposer et étudier ce concept de stockage mixte issu des programmes de recherche DISSTOR, DIVA et ITES. Ces programmes ont été abordés au chapitre 2 de ce manuscrit. Un stockage thermique similaire sera intégré au prototype AlsolenSup, actuellement en cours de développement au CEA Liten [3]. Les deux modules de stockage sensible (surchauffe/désurchauffe de la vapeur et sousrefroidissement/préchauffe de l’eau) sont des blocs de béton solide qui stockent la chaleur en élevant leur température, jusqu’à 500°C [1]. Le module de stockage par chaleur latente utilise du sel fondu comme matériau, le plus adapté étant le nitrate de sodium, dont la formule chimique est ܱܰܽܰଷ. C’est ce matériau qui est considéré dans l’étude conceptuelle citée ici [2]. La température de fusion du nitrate de sodium est de 306°C, ce qui veut dire que dans le sens de la charge, la vapeur saturée provenant du premier étage de stockage doit se condenser à 316°C, car un différentiel de température minimum de 10°C est nécessaire pour assurer le transfert thermique. Le stockage doit donc être opéré à la pression de saturation correspondant à cette température, soit 107 bars. Dans le sens de la décharge, toujours pour maintenir le différentiel de 10°C, l’eau à saturation doit se vaporiser à 296°C pour assurer le transfert thermique, ce qui correspond à une pression de saturation de 81 bars. On comprend alors que la turbine ne puisse être opérée de la même façon selon que la vapeur provienne du champ solaire, du stockage mixte, ou des deux.
L’interaction champ solaire/stockage thermique, turbine : points de fonctionnement
L’utilisation du stockage thermique sur l’opération d’une centrale a un impact évident sur son fonctionnement, que ce soit sur les périodes de production électrique, ou sur la façon d’opérer la turbine. On peut théoriser le fonctionnement du champ solaire, du stockage et de la turbine sur un diagramme de puissance turbine/puissance champ solaire. Celui ci-dessous représente les points de fonctionnement théorique d’une centrale sans stockage thermique. L’hypothèse est faite sur le diagramme que le champ solaire est surdimensionné par rapport à la turbine, c’est-à-dire qu’il ne délivre pas sa puissance maximale pour un fonctionnement nominal de celle-ci. Les points de fonctionnement d’une centrale de ce type se trouvent sur la droite 1-2, et les zones grisées sont celles où il n’y a pas de fonctionnement. La variabilité de l’irradiation incidente et de la température extérieure explique l’évolution du fonctionnement le long de la ligne 1-2. Les zones de part et d’autre de la droite 1-2 représentent tous les points de fonctionnement théoriques lorsque la turbine fonctionne avec de la vapeur produite simultanément par le champ solaire et le stockage (gauche) et lorsque la turbine fonctionne grâce au champ solaire en même temps que celui-ci charge le stockage (droite). Pour la raison évoquée précédemment, la turbine ne peut pas fonctionner à son maximum lorsque le stockage est utilisé en mode décharge, d’où la zone grisée au-dessus des points 4 et 5. En pratique, toutes les combinaisons de fonctionnement stockage/turbine (zones blanches sur la figure ci-dessus) ne sont pas intéressantes, et on peut réduire celles-ci à des droites de fonctionnement, ainsi que proposé dans l’étude conceptuelle de Birnbaum et al. (2010) [2] La zone de fonctionnement « Turbinage et charge » de la Figure 7-4 peut être réduite à deux droites de fonctionnement, selon l’opération recherchée : pour un besoin de production électrique forte et immédiate, la turbine est opérée en mode nominal et seul le surplus d’énergie du champ solaire est stocké, ce sont les points de fonctionnement de la droite 2-3 ; si la production électrique doit être différée dans le temps, le stockage est chargé par le champ solaire (droite 14-9) et le surplus est envoyé à la turbine (chemin 13-7-8). La turbine doit au moins tourner à son niveau minimal (droite 13-7). Pour un fonctionnement dans la zone « Turbinage et décharge » de la Figure 7-4, on a également plusieurs chemins d’opération possibles : pour une production immédiate, on vient turbiner à puissance maximale du déstockage. A ensoleillement nul ou trop faible, si le stockage est dimensionné pour produire au maximum sans apport du champ solaire, on a la droite de fonctionnement 5-10. Dans le cas contraire, on a le chemin de fonctionnement 12-11-10, puis on peut à nouveau turbiner à pleine puissance depuis le stockage et le champ solaire (droite 10-4) pour une production différée dans le temps, il peut être intéressant d’opérer la turbine à son niveau minimal, pour maintenir son état de chauffe. C’est la droite 6-1. Une conséquence directe de l’opération à pression réduite en mode déstockage est qu’un stockage du type détaillé en section 7.1.1 ne peut pas servir à pallier un manque d’ensoleillement lors d’une perturbation trop rapide, car la transition en pression du système serait trop lente en comparaison. En revanche, il existe des dispositifs de stockage de type Ruth, qui sont des ballons contenant de l’eau et de la vapeur saturée. Une dépressurisation du ballon permettant de créer rapidement de la vapeur (on parle alors de « flash »), on peut alors dans un certaine mesure utiliser cette vapeur pour compenser la baisse de débit provenant du champ solaire.
Opération en pression du champ solaire
La question de la montée en pression du champ solaire est d’importance, car celle-ci varie en effet durant la journée, avec l’ensoleillement et donc le débit de vapeur. On distingue généralement deux modes d’opérations d’un champ solaire à génération directe de vapeur. Considérons le modèle simplifié (cidessous à gauche) d’un champ régulé par une vanne de sortie : le premier mode opératoire est de réguler l’ouverture de la vanne pour maintenir la pression constante dans le champ solaire une fois qu’elle a atteint le niveau nominal. C’est le fonctionnement à pression constante. Le débit de vapeur évolue en même temps que la pression, et cela signifie donc qu’une partie du débit est utilisable pour le stockage thermique. Le fait de réguler la vanne signifie cependant que la pression varie en aval de celle-ci, la turbine fonctionne donc elle à pression glissante. Le second mode opératoire consiste à laisser la pression évoluer avec la génération de vapeur, au « fil du soleil », c’est le fonctionnement à pression glissante. Ce mode n’est pas compatible avec un stockage thermique car celui-ci doit être opéré à un certain niveau de pression. Cette notion de mode opératoire est à l’origine propre au domaine des turbines à vapeur, et c’est une problématique assez ancienne. Les avantages théoriques de l’opération à pression glissante par rapport à la pression constante sont d’éviter les pertes de charge dues à la lamination de la vapeur par la vanne à l’amont de l’admission turbine, et de conserver des rendements plus élevés à différents niveaux de charge. En intégrant un stockage thermique à la centrale, une opération journalière typique (représentée sur la figure ci-dessous à gauche) va consister en une combinaison de ces deux modes opératoires, ainsi qu’illustré sur la figure ci-dessous Phase 1 : la pression du champ solaire est à son niveau minimal (afin de maintenir une température de saturation basse durant le démarrage), la pression turbine augmente légèrement ; Phase 2 : le champ solaire et la turbine montent en pression en même temps que la génération de vapeur ; Phase 3 : une fois la pression nominale atteinte, celle-ci est maintenue constante en chargeant le stockage thermique. Le débit nominal de vapeur alimente la turbine tandis que le surplus sert à alimenter le stockage. On a alors un fonctionnement à pression constante ; Phase 4 : en fin de journée, lorsque l’ensoleillement est insuffisant pour assurer le fonctionnement nominal de la turbine, on vient diminuer la pression vapeur du champ solaire jusqu’à atteindre la pression permettant la production de vapeur depuis le stockage thermique On fonctionne donc durant cette période à pression glissante : Phase 5 : on peut ensuite alimenter la turbine depuis le stockage. Le fonctionnement se fait alors préférablement à pression glissante pour la turbine et à pression constante pour le stockage. Ce mode de fonctionnement est nommé « fonctionnement à pression glissante modifié » dans l’étude de Birnbaum et al. (2010) .