Littérature existante et développement des hypothèses
La publication volontaire et le nombre d’analystes financiers
En théorie, il existe une relation complexe entre le nombre d’analystes financiers et la publication volontaire. Ceci est dû notamment à l’existence d’une offre et d’une demande des services fournis par les analystes (Hope 2003a). Dans le modèle formalisé par Bhushan (1989), la relation entre les publications des entreprises et leur niveau de couverture par les analystes peut être interprété de deux façons. La première est fonction de la demande des services des analystes, tandis que la seconde s’articule autour de l’offre de leurs services aux investisseurs. D’un coté, l’information publique diffusée par les entreprises sur le marché est susceptible de réduire le coût d’acquisition des informations par les analystes. L’analyste est peu amené dans ce cas à mobiliser d’autres sources d’informations. La diffusion d’informations additionnelles par l’entreprise permettra d’accroître l’offre de services de la part des analystes financiers. Toutes choses étant égales par ailleurs, ceci entraîne une augmentation du nombre d’analystes financiers à l’équilibre. D’un autre coté, l’effet des informations publiques sur la demande des services auprès des analystes dépend du rôle de l’analyste financier sur le marché. En tant qu’intermédiaires financiers, la diffusion d’informations additionnelles permettra à l’analyste financier de mettre en place des recommandations plus pertinentes à la disposition de ses clients. Par conséquent, les publications volontaires améliorent le niveau de la demande des services des analystes financiers et de là, accroît le nombre d’analystes financiers à l’équilibre. En tant jouant le rôle de fournisseurs d’informations, les informations qu’ils collectent sont proposées aux investisseurs moyennant un coût ; tandis que les informations fournies par les entreprises sont transmises gratuitement aux investisseurs. L’information fournie par l’entreprise est substituée au rapport établi par l’analyste. L’investisseur utilise cette information directement de l’entreprise au moindre coût au lieu de la collecter auprès des services des analystes. Dans ce cas, les publications volontaires permettent de réduire la demande des services auprès des analystes, et de là, le nombre d’analystes financiers à l’équilibre. Les publications volontaires et la couverture par les analystes financiers sont considérées dans ce cas comme des substituts.
En résumé, les publications volontaires font accroître l’offre de services des analystes financiers. Toutefois, elles peuvent, soit améliorer soit décliner la demande des services auprès des analystes en fonction de leur rôle sur le marché. L’effet net dépend donc de l’importance relative de ces forces, il est théoriquement ambigu. Néanmoins, malgré la rareté des études qui ont essayé d’analyser ces deux effets, les recherches antérieures, limitées dans ce domaine, ont montré que la couverture des entreprises par les analystes est positivement influencée par le niveau des publications financières de l’entreprise.
La recherche empirique a étudié le lien entre le nombre d’analystes financiers et la politique de publication d’informations financières. Elle regroupe notamment les travaux de Lang et Lundholm (1996) et de Hope (2003a). Lang et Lundholm (1996) montrent que les analystes financiers aux Etats-Unis sont attirés par les entreprises ayant une bonne réputation en matière d’informations du marché. Ils affirment que les dirigeants ont tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec leurs analystes financiers. En outre, d’après Hope (2003a), les publications de politiques comptables aident davantage les analystes à établir leurs rapports. Dans un contexte international, Hope montre que le niveau de couverture par les analystes est positivement influencé par les publications des conventions comptables.Au regard de ces travaux empiriques, les résultats accréditent la thèse selon laquelle la couverture des analystes et les publications de l’entreprise sont complémentaires et non substituables. Ces études aboutissent à une relation positive entre les deux variables. A la lumière de ces recherches théoriques et empiriques, nous formulons l’hypothèse suivante :
H1 : Il existe une relation positive entre le nombre des analystes financiers et la publication volontaire des résultats.
Compte tenu du fait que les dirigeants jouissent d’une certaine latitude dans le choix des informations fournies au marché, un deuxième sens de la relation entre la couverture par les analystes et les publications volontaires des résultats est attendu. La publication volontaire influencerait le niveau de couverture des entreprises. Elle peut être également influencée, elle-même, par la couverture des analystes. La raison en est la suivante : à mesure que la demande d’information de la part des analystes s’élève, l’entreprise est amenée davantage à satisfaire ce besoin en informations. Ce constat a été testé et confirmé par l’étude de Miller et Piotroski (2000). Ces auteurs ont établi que le niveau de couverture influence de façon significative les publications des prévisions managériales. Lang et Lundholm (1996) affirment que la relation de causalité entre le nombre d’analystes et les publications d’informations additionnelles n’est pas évidente. Toutefois, Hope (2003a) soutient l’existence d’une relation de causalité entre les deux variables. Afin de contrôler cette endogénéité, l’auteur teste simultanément la décision de publication d’informations et la décision de l’analyste de couvrir les valeurs d’une société. Conformément à ce constat, nous estimons la décision de publication et la décision de couverture comme deux choix pouvant être déterminés simultanément. Nous supposons d’un coté, que les entreprises émettent des informations non obligatoires au marché afin d’influencer les activités des analystes. D’un autre coté, à mesure que le niveau de couverture augmente, les dirigeants sont supposés être motivés à publier davantage des informations.
La publication volontaire et les caractéristiques des prévisions des analystes financiers
Les modèles analytiques de Milgrom (1981) et de Grossman (1981) s’appuient sur la théorie du signal pour expliquer la capacité des informations financières à réduire l’asymétrie d’information. La publication volontaire est supposée agir sur le décalage informationnel entre l’entreprise et ses investisseurs. Elle est également présumée homogénéiser les anticipations des investisseurs (Ajinkya et Gift, 1984 ; Lees, 1981 ; Ruland et al. 1990). Les études empiriques, dont celle de Christie (1987), d’Atiase et Bamber (1994) et de Soffer et al. (1999), utilisent souvent les prévisions des analystes financiers pour approcher les anticipations des investisseurs. La dispersion des anticipations est mesurée par deux caractéristiques des prévisions des analystes : l’erreur et l’écart type des prévisions des analystes. Ces deux caractéristiques sont aussi utilisées pour mesurer l’incertitude vis-à-vis de la performance de l’entreprise (Imhoff et Lobo 1992 ; Barron et al. 1999).
La relation entre les politiques de communication financière des entreprises et les prévisions des analystes financiers est fournie par Lang et Lundholm (1996). Ces auteurs admettent que les prévisions des analystes financiers deviennent plus précises et moins dispersées à mesure que l’entreprise améliore sa communication financière. Une erreur de prévision faible indique que les dirigeants ont tendance à publier régulièrement leurs comptes afin de corriger les anticipations du marché. Piotroski (1999) a montré que les informations additionnelles fournies au marché sont susceptibles d’améliorer la précision des prévisions des analystes financiers. Lorsque les dirigeants jugent que leurs résultats seront en dehors de la fourchette d’estimation donnée par le consensus de marché, ils sont plus amenés à corriger les estimations des analystes pour réduire l’asymétrie d’information sur le marché.
Barron et al. (1999) ont décelé une relation significative et négative entre le classement des informations dans les rapports annuels et la dispersion et l’erreur des prévisions des analystes. Après avoir contrôlé la variabilité des résultats, Eng et Teo (2000) ont montré que les informations incluses dans les rapports annuels sont associées négativement et de façon significative à l’erreur à Singapour (mais non significative à la dispersion des prévisions entre analystes). Chang et al. (2000) rapportent une relation non significative entre les publications d’informations volontaires et la dispersion, mais significative avec l’erreur sur un échantillon composé des 30 plus grosses capitalisations boursières de 47 pays. Hwang et al. (1998) obtiennent des résultats similaires sur un échantillon de 7 pays à travers le monde. L’étude de Hope (2003b) contribue, en outre, à la littérature examinant le lien entre la communication volontaire et les prévisions des analystes. Il en déduit que la politique de publication influe sur l’erreur et sur la dispersion des prévisions. Enfin, Bushman et al. (2004) montrent que les analystes proposent des prévisions de bénéfice par action plus précises pour les entreprises émettrices d’informations de qualité. Toutefois, en Suède, Adrem (1999) montre que les informations publiées n’améliorent pas l’exactitude des prévisions des analystes. Il obtient des relations non significatives entre la stratégie de publication et la précision des prévisions des analystes financiers.
La relation entre la publication volontaire et la dispersion des prévisions est moins évidente. L’effet de la publication d’informations additionnelles sur la dispersion des prévisions est tributaire des différences dans les prévisions estimées par les analystes. Ces différences peuvent être dues soit aux décalages dans l’information reçue par les analystes, soit aux divergences de leurs modèles de prévisions (Lang et Lundholm 1996). Dans le premier cas de figure, les analystes disposent des mêmes modèles de prévisions. Ils observent les mêmes informations que l’entreprise émet sur le marché. Toutefois, ils collectent des informations privées différentes. Ils ont tendance à mettre moins de poids sur les informations privées acquises à mesure que l’information fournie par l’entreprise s’améliore. Ceci entraîne des conséquences favorables sur l’homogénéisation des anticipations des analystes. La dispersion dans les prévisions entre analystes est donc amenée à baisser.Dans le deuxième cas de figure, les analystes observent la même information publique. Ils disposent par ailleurs de la même information privée. Ils diffèrent cependant sur la manière de modéliser leurs prévisions. L’accroissement des informations publiées par l’entreprise pourrait amplifier la dispersion des prévisions entre les analystes.
Ang et Ciccone (2001) analysent les différences internationales dans les dispersions des prévisions des analystes financiers. Ils montrent que les disparités d’opinions sont d’autant plus grandes que l’entreprise est peu transparente. Cette dispersion est due notamment aux différentes estimations de la même quantité d’informations, ou des interprétations des informations reçues par les analystes financiers, principalement les informations privées.