La glace de rivière
La glace de rivière se forme dans tous les systèmes fluviaux où le climat est suffisamment froid . Il existe deux principaux modes de formation de la glace de rivière (Figure 1-2a). Le premier mode concerne les eaux calmes, notamment les lacs et les mouilles larges et profondes, où le type dominant de glace est la glace pelliculaire de surface (Shen, 2003 ; Stickler et Alfredsen, 2005), aussi appelée glace statique ou primaire (Michel, 1972). La glace primaire est formée principalement par les échanges thermiques entre l’eau, l’ air et les berges. Ces deux derniers éléments étant plus froids que l’eau, ils la font geler en surface, depuis la berge vers le centre du chenal (Michel , 1972 ; Shen, 2003). Ce type de glace peut aussi débuter autour d’un bloc ou de tout autre obstacle émergé dans le chenal, incluant les glaces déjà présentes (Michel, 1972). Le deuxième mode de formation de glace est le mode dynamique, retrouvé principalement dans les pOltions plus turbulentes du chenal (Michel, 1972; Shen, 2003 ; Stickler et Alfredsen, 2005). Il survient lorsque l’eau est en surfusion, c’est-à-dire lorsqu’ elle est encore à l’état liquide même si sa température est légèrement inférieure à ODC (Michel, 1972 ; Shen, 2003 ; Ye et al., 2004; Stickler et al., 2005).
Le processus de surfusion est principalement dû à la température de l’air, mais aussi à la profondeur de l’écoulement (Ye et al., 2004). À la surfusion, de minuscules particules de glace adhésives se fonnent, communément appelées frasil (Stickler et al., 2005). Ces particules deviennent des noyaux de nucléation où s’agglomèrent d’autres particules, formant de la « slush » de frasil (Ye et al., 2004). Une goutte d’eau en surfusion éjectée par l’écoulement turbulent, gelant au contact de l’air plus froid et retombant dans l’eau de la rivière est un autre type de noyau de nucléation. Ces masses de frasil sont transportées dans l’eau et s’agglomèrent sous le couvert de glace, pouvant former un balTage suspendu (( hanging dam») (Beltaos, 1983; Beltaos, 1995 ; Shen, 2003). Souvent, lorsque l’eau est en surfusion, les masses seront entraînées vers le fond par leur poids et la structure turbulente de l’écoulement, adhérant aux matériaux du lit et formant de la glace de fond (Michel, 1972 ; Stickler et Alfredsen, 2005). D’autres types de glace peuvent parfois s’ajouter à la glace pelliculaire et au frasil, notamment la glace créée par le durcissement de la neige sur le couvert de glace, et celle créée par le gel d’ un écoulement supraglaciel aussi nommé aufeis (Ashton, 1986).
Les embâcles de glace
Les embâcles de glace résultent d’une accumulation de fragments ou de plaques de glace restreignant ou bloquant l’écoulement (IAHR, 1986). Ils sont un des aléas les plus importants relié à la glace de rivière (Ashton, 1986). Ce blocage peut causer des inondations de la plaine alluviale, où peuvent flotter des blocs de glace (Figure 0.3). La présence d’infrastructures anthropiques dans la plaine expose la communauté à des dommages matériels importants sur ces infrastructures, et même à des pertes de vies dans des cas extrêmes. Pour une même période de retour, les nIveaux d’eau associées à une inondation causée par un embâcle sont supérieures à ceux associés à une inondation en eau libre (Prowse et Beltaos, 2002) (Figure 1.4) puisque l’embâcle agit comme un barrage (Wuebben et Gagnon, 1995). De plus, la forte rugosité associée à l’amoncellement de glace contribue à ralentir l’écoulement de l’eau (Beltaos, 2008) . Ainsi, pour un même débit, les profondeurs d ‘ eau attribuées à un embâcle peuvent être de deux à trois fois supérieures à celles d’un écoulement libre. Le débit nécessaire pour causer une inondation lors d’un embâcle est donc inférieur à celui en eau libre de glace (Prowse et Beltaos, 2002 ; Beltaos, 2008), puisque le ralentissement de l’écoulement requieli un niveau supérieur pour un même débit.
Il ya aussi possibilité d’inondation à l’ aval lorsque la poussée des glaces de l’amont devient trop fOlie et l’embâcle se libère. Évènement généralement abrupt, la relâche d ‘ un embâcle est souvent violente et peut provoquer une vague de plusieurs mètres de hauteur avançant à une vitesse supérieure à la vitesse d’écoulement libre (Beltaos, 2008). Il se produit aussi en même temps un abaissement subit du niveau d’eau associé au déversement rapide des eaux retenues par l’embâcle, pouvant causer un affaissement de berges (Beltaos, 2008). De plus, l’action des glaces en mouvement contre le lit et les berges peut causer de l’érosion et ensuite de l’affaissement (Mackay et Mackay, 1973 ; Daly et Vuyovich, 2007 ; Beltaos, 2008). Par exemple, la Figure 1.5 montre l’arrachement par un bloc de glace de végétation et de particules de sol suite à un frottement sur la berge. Les modifications morphologiques causées par les embâcles peuvent être temporaires, par exemple aux confluences (Bergeron et Roy, 1988), ou encore se traduire par une morphologie spécifique (Boucher et al., 2009a). De plus, comme l’illustre la Figure 1.6, la présence récurrente d’embâcles dans un méandre bien prononcé peut causer le recoupement du méandre en forçant une déviation de l’écoulement et changer drastiquement la morphologie du chenal (Figure 1-6). Les embâcles peuvent se former tout au long de l’hiver (Beltaos, 2008). Les embâcles formés au début de l’hiver ou au retour de températures froides suite à un redoux sont nommés « embâcles de formation ». Généralement, ces embâcles de formation ont tendance à se produire lorsque le débit est en diminution (Prowse et Beltaos, 2002 ; Daly et Vuyovich, 2007). En effet, l’eau dans le bassin gèle et n’est plus disponible pour alimenter le débit. Les embâcles de fOlmation peuvent se produire soit par l’accumulation de plaques de glace pour construire le couvert, ou encore par l’accumulation de frasil sous le couvert (Shen, 2003 ; Beltaos, 2008).
Facteurs morphologiques de formation d’embâcles
Bien que certaines rivières sont reconnues pour la formation quasi annuelle d’embâcles, l’imprévisibilité des conditions hydro-météorologiques fait en sorte que les sites sont sujets à changement et un embâcle peut se produire à n’importe quel endroit dans le système (Mackay et Mackay, 1973). Ce sont généralement les environnements où l’écoulement est rapide et la pente est plus forte, qui subiront la débâcle en premier, entraînant la glace vers l’aval. À l’inverse, ce sont dans les sites où la pente est faible, où pour un même débit la vitesse est inférieure, que les blocs de glace seront plus difficilement évacués, augmentant les probabilités de formation d’un embâcle (Beltaos, 1997b). Quelles que soient les conditions climatiques ou hydrologiques, la présence d’obstacles dans le système fluvial peut causer la formation d’embâcles. Les infrastructures humaines sont un de ces types d’obstacles. Par exemple, les ponts et culées sont souvent associés à la formation d’embâcle (Beltaos et al., 2006a; Beltaos et al. , 2007). Ils peuvent aussi contribuer à aggraver l’embâcle, par exemple lorsque le point d’ancrage est situé à l’aval et l’accumulation de glace atteint l’infrastructure.
Ce fut le cas notamment pour l’embâcle sur la rivière Ouelle dans le village de Saint-Pacôme en 2005 . On distingue quatre grands styles fluviaux pour décrire morphologiquement le système fluvial : linéaire, à méandre, à tresses et anastomosé, sur la base du nombre de chenaux et de la sinuosité (Figure 1.10). Chacun de ces styles se retrouve généralement à un endroit précis dans le système fluvial, reflétant une réponse directe aux conditions imposées par la topographie (Brierley et Fryirs, 2000). Les changements entre ces styles ne se font pas abruptement, mais plutôt par l’entremise de transitions douces permettant au chenal de s’équilibrer avec les modifications des caractéristiques topographiques et géologiques environnantes (Rosgen, 1994). Quel que soit importe son style fluvial , la morphologie du chenal ou la présence d’obstacle peuvent empêcher le libre écoulement des glaces (Figure 1.11) et créer des embâcles qualifiés de « sec» (Michel, 1972). Ces formes sont la résultante d ‘ une série d’ajustements dans les plans horizontal, vertical et transversal, notamment par l’érosion et l’accumulation des sédiments (Knighton, 1998; Simon et al., 2007). Plusieurs de ces fonnes peuvent être des facteurs de formation d’embâcles de glace.
Un premier élément morphologique pouvant causer la formation des embâcles de glace est le méandre. Smith et Pearce (2002) et Mackay et Mackay, (1973) ont documenté plusieurs exemples d’embâcle dans des méandres . L’écoulement dans les méandres est dirigé préférentiellement sur la berge concave (Knighton, 1998 ; Robert, 2003) où sont entraînés les blocs de glace. Ils peuvent s’y accumuler jusqu’à ce qu’ils rejoignent la berge convexe, créant un embâcle (Figure 1.11a). Le deuxième élément morphologique à considérer est l’étranglement du chenal (Mackay et Mackay, 1973), tel qu’illustré par la Figure 1.11 b. L’étranglement cause une accélération de la vitesse de l’eau puisqu’une même quantité doit s’écouler dans une section transversale plus petite. Il peut s’y créer un refoulement de l’eau si l’étranglement est particulièrement important. De plus, si des blocs de glace sont présents, ce refoulement peut causer un embâcle, particulièrement si le débit n’est pas assez fort pour évacuer la glace dans l’étranglement. Le troisième obstacle naturel est la présence à l’aval d’un couvert de glace intact (Figure 1.11 c).
En effet, celui-ci peut bloquer l’évacuation des blocs de glace, ou contribuer à l’apport de glace s’il se fait détériorer par les blocs flottants (Wuebben et Gagnon, 1995; Shen, 2003 ; Beltaos, 2007 ; Beltaos, 2008). La présence d’un embâcle de bois, (Figure 1.1ld) constitue le quatrième type d’obstacle naturel dans le chenal. Ces barrages empêchent l’évacuation des blocs de glace puisqu’ils peuvent couvrir une soit une pOltion, soit l’entièreté de la surface de l’eau. De plus, la présence d’arbres dans le chenal peut causer une accumulation de sédiments directement à l’amont de l’embâcle, ce qui peut contribuer à l’ancrage de blocs de glace. Les bancs d ‘ accumulation et les ilots dans le chenal sont un autre élément morphologique à considérer dans la formation d’embâcles (Pariset et al., 1966). Les bancs et îlots forcent une division de l’écoulement, impliquant que pour chaque bras du chenal, la force motrice de l’eau est amoindrie. L’écoulement devenu moins compétent ne peut plus transporter les blocs de glace, qui seront donc déposés sur place. De plus, ces formes augmentent la rugosité du chenal et peuvent servir de point d’ancrage pour les blocs de glace (Figure 1.1 le). Les haut-fonds augmentent aussi la rugosité (Figure l.llg).
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