Les EJSR, plusieurs définitions
Nous retrouvons ces catégories de jeunes et d’enfants sous diverses appellations, telles que : maras, jeunes de la rue, homeless youth aux États-Unis, children of the street , enfants délinquants , enfants pour la rue (Côté et coll., 2015; De Bœvé et Giraldi, 2010; Lallart, 2004; Osako, 2007; The State of Homelessness in America, 2016 ; United Nations-Committee on the Rights of the Child, 2017). Pour ce qui est d’Haïti il y a diverses autres appellations qui sont : enfants en situation de rue, enfants dans la rue, enfants de la rue, enfants des rues, enfants des petites ruelles, « enfants à risque » ou « enfants en danger » (Lubin, 2007; Eugène, 2013; Renois, 2007). Cette pluralité d’expressions pour désigner une seule et même catégorie d’enfants et de jeunes est la preuve tangible de la complexité de ce phénomène (Pochetti, 2012). En ce sens, cette catégorie n’a pas une définition propre, car chaque auteur la définit à sa manière. Certains auteurs se basent sur la quantité de temps passés dans la rue et le lien qui existe entre les enfants et leur famille (Asociatia Sprijinirea Integrarii Sociale, 2003; Bony, 2016; Chery, 1994; Lallart, 2004; Louis, 2008; Lubin, 1992). Pour ces auteurs, il y a des enfants qui utilisent la rue comme un moyen pour gagner leur vie durant la journée, mais qui ont, quand même, un toit familial pour se reposer durant la nuit. En revanche, il y a d’autres enfants qui n’ont aucun endroit pour passer la nuit et qui sont obligés d’être régulièrement dans la rue : Les premiers rentrent à la maison le soir, après avoir passé toute la journée à errer dans la rue ; les seconds sont en rupture avec leur famille, au sein de laquelle ils ne peuvent, ou ne veulent pas retourner ; ils vivent la journée et la nuit dans les rues. Les deux catégories peuvent alors se « fondre » dans un groupe communément appelé « enfants pour la rue » ; leur vie s’identifie avec la rue, ils ne peuvent s’imaginer un autre type d’existence (Lallart, 2004, p. 59).
Plusieurs auteurs mentionnent la nécessité d’adopter une définition unique pour l’ensemble des enfants et des jeunes se trouvant dans la rue, que ce soit pour une courte ou pour une longue période. Lubin (2007), dans sa thèse doctorale, avance que ce sont « des personnes, des deux sexes de 5 à 19 ans environ, qui fréquentent la rue pour une raison ou une autre, partagent la culture de la rue, utilisent celle-ci pour vendre ou acheter un type de produit ou de service et font de cet espace leur dortoir, leur espace de jeu ou de travail » (Lubin, 2007, p.23). Stanciulescu (2006) de son côté, se référant à une publication de l’Asociatia Sprijinirea Integrarii sociale (2004), emprunte une définition des Nations Unies sur la catégorie des EJSR, pour avancer que l’enfant en situation derue serait « tout garçon ou toute fille […] qui n’est pas protégé(e), gardé(e) ou dirigé(e) par des adultes responsables » (p.70). C’est ainsi que l’Organisation des Nations Unies a regroupé toutes ces catégories sous une seule appellation qui est : « enfants en situation de rue ». Dans le but de faire évoluer cette définition, le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant a proposé en juin 2017, une autre définition selon laquelle cette catégorie regrouperait tout enfant qui aurait utilisé la rue d’une façon ou d’une d’autre, soit pour vivre ou pour travailler, et ceci même si l’enfant n’occupe pas la rue de façon permanente, mais seulement de façon périodique. In the present general comment, the term “children in street situations” is used to comprise: [a] children who depend on the streets to live and/or work, whether alone, with peers or with family [; and [b] a wider population of children who have formed strong connections with public spaces and for whom the street plays a vital role in their everyday lives and identities. This wider population includes children who periodically, but not always, live and/or work on the streets and children who do not live or work on the streets but who regularly accompany their peers, siblings or family in the streets. Concerning children in street situations, “being in public spaces” is understood to include spending a significant amount of time on streets or in street markets, public parks, public community spaces, squares and bus and train stations. It does not include public buildings such as schools, hospitals or other comparable institutions. (United Nations-Committee on the Rights of the Child, 2017, p. 3-4).
Parmi ces différentes définitions, nous nous retrouvons dans la façon dont le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant définit les EJSR. En effet, ce comité fait de l’utilisation de la rue la principale base de définition de cette catégorie d’enfants et de jeunes. En ce sens, dans le cadre de ce travail nous allons nous appuyer sur cette définition. En fait, la notion d’enfants en situation de rue renvoie à des mineurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité, qui est de 18 ans, alors que quand nous parlons de jeunes de rue nous voyons des jeunes qui ont aussi 18 ans et un peu plus (Renois, 2007). Par conséquent, dans le cadre de ce travail, nous utilisons le vocable d’EJSR (enfant et jeunes en situation de rue) pour désigner une population de jeunes et d’enfants qui se retrouvent dans une tranche d’âge de 0 à 30 ans.
Réalités vécues par les EJSR
Le phénomène des EJSR ne date pas d’hier, car Peyre et Tétard font remonter l’histoire de cette dernière à la période suivant la Seconde Guerre mondiale, particulièrement en France (Peyre et Tétard, 2006). Ils ont des caractéristiques qui sont uniques à eux, telles que : a) le niveau de vulnérabilité des filles à l’égard de la pratique de la prostitution et de l’exposition aux abus sexuels que ce soit par leurs pairs ou par d’autres personnes ; b) leur vulnérabilité face aux maladies sexuellement transmissibles dont beaucoup en contracteront au moins une (Emmanuelli, 2011). En Haïti, ils sont souvent victimes des actes d’agressions sexuelles de la part des gens travaillant dans les ONG internationales ou encore des travailleurs humanitaires venant d’autres pays (Caza, 2018).
Children in street situations are particularly vulnerable to sexual violence and exploitation, and the Optional Protocol to the Convention on the sale of children, child prostitution and child pornography is particularly relevant for them. Gender-sensitive responses should be made by professionals who are trained in understanding the specific circumstances of children in street situations. Children may have ended up in street situations through trafficking for sexual or labor exploitation, and/or may be vulnerable to such trafficking, as well as trafficking for body parts, and other forms of exploitation, once they are on the streets (United NationsCommittee on the Rights of the Child, 2017, p. 20).
De même, ces jeunes sont plus exposés aux dépendances liées à la consommation de drogues (Kommegne et coll., 2013 ; Cavagnoud, 2014). Il n’y a pas un type de drogue qui leur est propre, car plusieurs substances sont consommées (Emmanuelli, 2011). Dans le cas d’Haïti, les EJSR consomment divers types de drogues, en passant par l’inhalation de solvants tels que : acétylène, « thinner » ou diluant pour peinture et essence de voitures. Ceux qui ont le moyen peuvent acheter d’autres drogues tels que : alcool, cannabis et cocaïne communément appelée « jucy ». (Renois, 2007).
Ils arrivent également à s’approprier la rue, auparavant considérée comme un espace réservé aux adultes, et y imposent leurs règles (Stanciulescu, 2006). En Haïti, cette appropriation de la rue par les EJSR fait peur au reste de la population. C’est la raison pour laquelle ils (EJSR) sont souvent victimes d’actes de violence de la part des utilisateurs des espaces publics (Eugène, 2013). En ce sens, formulons l’hypothèse que la vie de la rue est vraiment dangereuse pour ces EJSR, car il y a toutes formes de violences qu’ils subissent dans la rue, tant de la part de leurs pairs que de la part des riverains (Caza, 2018; Eugène 2013; Lucien, 2012; Renois, 2007). Selon les paroles d’un enfant de rue , il voit que la rue est vraiment dangereuse pour eux. Par conséquent, il ne fait que prier le Bon Dieu pour lui préserver la vie dans la rue (Charles, 2015). Dans la rue, selon Rachel Alexandre, une travailleuse de rue du Centre d’Éducation populaire, ils sont à risque de beaucoup de danger pouvant occasionner leur mort (Charles, 2015).
Partout ailleurs, en Haïti plus précisément, ils sont obligés de développer d’autres stratégies de protection, en surveillant l’un sur l’autre. Il y aussi le port d’arme blanche (couteau) qu’ils utilisent aussi comme stratégie de protection (Douville, 2011; Hurtubise et Vatz-Laaroussi, 2002; Joseph et Derivois, 2016; Karray et coll., 2016; Laabi, 2017). Pour ce faire, ils sont obligés de se regrouper en bases ou cartels tout en s’adaptant à la vie de la rue. Par conséquent, ils développent ce que nous pouvons appeler une « culture de rue » (Douville et Cousein, 2012 ; Joassaint, 2003 ; Lubin, 2007). Cette culture est caractérisée par leur façon de se divertir, leur langage qui est propre à eux, le respect d’un ensemble de règles et de principes et l’utilisation de code pour communiquer entre eux (Caza, 2018; Eugène 2013; Renois, 2007). Quand nous parlons de culture de rue, nous faisons référence également au mode de vie des EJSR calqué de violence, de la consommation de la drogue, de la délinquance et de la prostitution, d’une forme de langage qui est propre à eux (un langage vulgaire). C’est en quelque sorte une construction sociale qui revendique un espace de survie qui est la rue (Vienne, 2008; Biaya, 2000). Cette culture nous amène à nous questionner sur l’identité que développent ces derniers. Par exemple, en Haïti nous retrouvons fréquemment des expressions créoles telles que : « Ti lari » (en français « petit de la rue »), « Se lari m ye wi » (en français « je suis de la rue »). En somme, nous pouvons dire aussi qu’il y a un greffage de la culture haïtienne sur celle dite « de la rue » (Chery, 1994). C’est en ce sens que Paté (2017) parle du développement d’un processus d’ « apprentissage forcé de la survie » pour évoluer dans la rue. Ce processus est dû grâce à la résilience dont ils procèdent. Cette dernière se définit comme étant la capacité dont procède une personne à construire une nouvelle vie après avoir mené une vie traumatisante (Joseph et Dérivois, 2016).
[..]Au lieu d’avoir une vision misérabiliste de la vie de rue, il est important de comprendre que les jeunes de la rue manifestent aussi des désirs d’individualité en adoptant ce mode de vie. […] [Les] jeunes de la rue ne peuvent être réduits à des étiquettes comme “comportements à risque” ou “nuisances publiques”[…] (Parazelli, 2002, p. 52).
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