L’organisation du travail à l’épreuve des risques psychosociaux

Une sollicitation autour des rps au sein d’une association confrontée à une réorganisation

Cette association, créée en 2006, accompagne les personnes handicapées dans leurs projets de vie en lien avec leur entourage familial. Elle emploie une quarantaine de personnes de différents métiers et fonctions : médecins, assistants administratifs, conseillers en économie sociale et familiale, ergothérapeutes, responsables de service, assistants sociaux… Ce collectif pluridisciplinaire a pour mission commune d’accueillir, de conseiller, de guider et de soutenir dans les actes de la vie quotidienne des personnes handicapées aux profils très divers. Il s’agit de mettre à leur disposition l’information et les services dont elles ont besoin pour recouvrer leur autonomie.
à la suite des situations de stress révélées et à un cas d’épuisement professionnel traité par le médecin du travail, la direction, en accord avec les représentants du personnel, sollicite l’Aract en janvier 2009 pour l’aider à prévenir au mieux les risques psychosociaux (rPS). Après différents échanges avec la direction et les représentants des salariés, la réalisation d’un diagnostic de situation au sein de toute l’organisation est actée à l’unanimité. Celui-ci commence par l’analyse de matériaux documentaires (organigramme, fiches de poste, rapports d’activité) et se poursuit par des observations aux postes de travail puis la réalisation de 22 entretiens individuels et collectifs semi-directifs avec le personnel.

Un diagnostic pour dire les maux de l’organisation

Le diagnostic révèle les déterminants d’une crise organisationnelle pouvant mettre les professionnels en difficulté dans leur travail. Ces déterminants ne sont pas spécifiques à cette association mais ils sont ici « concentrés » à cause de la réorganisation et rendus visibles par le diagnostic. direction et représentants du personnel vont se trouver confrontés au questionnement de ce diagnostic produit en prise directe avec les salariés. de la capacité à s’approprier cette analyse dépendront les possibilités d’agir sur des situations identifiées comme étant propices aux rPS.

Quand la donne change sans que personne ne s’en empare

PoUrQUoI ? L’urgence créatrice, plus interindividuelle que collective dans les faits, a primé pour tout le monde, CA, direction, encadrants, collaborateurs, sur l’organisation concertée planifiée à court et moyen terme, organisation présumée ici être évidente et déductible de tout changement (comme allant de soi). tout se présente comme si la restructuration toute récente de l’établissement devait passer inaperçue. Fruit d’une fusion de trois structures avec des implantations territoriales distinctes, la nouvelle association hérite de tensions plus ou moins actives dans chacune de ces entités. Les frottements classiques entre personnels, exacerbés en milieu associatif, sont liés à la répartition de la charge et des responsabilités ainsi qu’au rapport à la hiérarchie. Ces conflits revêtent une toute autre ampleur au sein du nouveau groupe constitué. Ce changement contextuel, point saillant de la situation délicate rencontrée, est d’autant plus sensible pour les équipes qu’il nécessite un investissement progressif dans de nouvelles missions (mise en place d’offres inédites, travail en pluridisciplinarité, etc.), de nouveaux outils informatiques (logiciels, gestion électronique de documents, etc.) et dans un regroupement dans deux sites géographiques au lieu de trois. Cette mutation, mal anticipée dans les anciennes structures, n’a pas été préparée avec les salariés au moment de la fusion. Souvent, les interventions de type prévention secondaire des rPS 1 identifient un avant et un après. La donne change, un déséquilibre s’opère et s’enkyste progressivement à bas bruit dans le temps, sans qu’aucun acteur ne s’en empare rapidement et formellement. Comment dès lors (re-) construire la communauté de travail ? à partir de quel objet ?
si rien n’est fait pour que chacun s’y retrouve.
Cinq nouveaux pôles (pôle administration générale, pôle qualité de service, 3 autres pôles chacun dédié à un type de public) renforcent le cloisonnement des activités de l’association et complexifient la coordination générale du travail. Il subsiste des lignes hiérarchiques parallèles qui favorisent la coexistence de différentes légitimités et une déperdition de la performance, du fait notamment d’un encadrement affecté par site géographique (management par zone géographique et non management à distance par projet ; l’affectation journalière géographique de l’agent sur tel ou tel site détermine sa subordination hiérarchique). L’imprécision de certaines relations fonctionnelles crée des conflits de rôle (ex : qui a la responsabilité finale de gestion du dossier, l’intervenant médical ou socio-éducatif ?), et si les activités administratives sont assez similaires entre les équipes reconstituées, les pratiques professionnelles restent très hétérogènes (ex : travail basé sur l’activité calendaire dans un service, travail morcelé adapté au flux oscillant et récurrent de l’activité dans un autre, approche technico-centrée dans une unité et approche globale dans une seconde…). L’organigramme et la répartition historique des missions ne correspondent plus à la réalité actuelle et à venir des activités. nombre de salariés se disent désorientés.
dans ce contexte, une question fondamentale se pose pour les salariés : comment trouver sa place, sa « bonne place », sans s’y perdre quand il n’y a plus de socle commun partagé, de règles de vie et de métier, ni même de genre professionnel au sens donné à cette notion par Y. Clot et d. Faïta Comment faire évoluer la nature des activités et consolider les collectifs tant que chacun n’a pas la possibilité de développer son style personnel au travail ?

Du surinvestissement à la perte de contrôle

La croissance de l’établissement est fulgurante. L’activité a augmenté en moyenne de plus de 30 % de 2006 à 2009, à effectif plus ou moins constant. Il ressort du diagnostic qu’un service est passé de 190 dossiers traités en 2006 à 774 en 2009, soit une hausse de 407 % ! Le service concerné par la situation d’épuisement professionnel enregistre quant à lui une progression de gestion de dossiers de 39 %. L’explosion des missions a accentué la contrainte psychologique et réduit la latitude décisionnelle des salariés. L’exigence quantitative a primé sur l’exigence qualitative de résultat, l’accumulation récurrente de retards dans le traitement des dossiers a installé le travail dans l’urgence au détriment du travail de fond, la pression temporelle entraînant des erreurs fréquentes. dans ce contexte surchargé, l’inconfort des échanges professionnels empêche toute velléité de régulation et de mise en débat des difficultés professionnelles. Le turnover et l’absentéisme restent faibles. La majorité des personnes rencontrées déclarent « encore apprécier malgré tout leur travail ». Quand la sollicitation devient trop forte et ne permet plus de travailler correctement, « quand il y a un trop grand écart entre ce que l’on voudrait faire et ce que l’on est obligé de faire », les salariés estiment perdre le contrôle de la situation. Ils se sentent dépossédés de leurs compétences, passées et à venir, de leur vie professionnelle au point d’en être malades. L’expression « rPS » semble alors adéquate pour désigner cette situation. Les investigations de terrain tendent à montrer que les personnes les plus investies dans leur travail, souvent expérimentées et dont les compétences sont reconnues, vivent d’autant plus mal ces situations de travail, « comme si l’organisation était trop petite, trop étroite, pour elles » (Clot, 2010).
Sur quels matériaux s’appuyer alors pour sortir de cet imbroglio organisationnel ? Comment réamorcer une dynamique fonctionnelle pour que l’investissement individuel et collectif ne soit pas détourné ?

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