L’ automobile, un objet d’ histoire culturelle et d ‘histoire des mentalités

Ce mémoire s’intéresse à l’implantation au Québec de deux disciplines de la passion automobile: le Hotrodding et le Stock car. Le Hotrodding tel que nous le connaissons est apparu en Californie dans les années 1920-1930 et est devenu populaire dans les années 1940. Cette activité consiste à modifier la carrosserie, la suspension et les autres éléments d’une voiture d’avant-guerre et à lui implanter un moteur plus puissant, ou à modifier ce dernier. Le Stock car, apparu dans les années 1940 dans le sud des États-Unis, était à l’origine une discipline consistant à alléger une voiture, à modifier sa suspension et sa direction, et à la munir d’un gros moteur pour faire des courses sur une piste en ovale, qui, dans les années 1940-1950, était en terre battue. Le gagnant était le premier (ou parfois le seul vu l’état des véhicules employés à l’origine pour ce genre de courses) à parcourir le nombre de tours de piste requis. Une histoire plus approfondie de l’origine de ces deux loisirs est présentée en annexe à la fin de ce mémoire.

À la fin des années 1940, le Québec, tout comme le reste de l’Amérique du Nord, était prédisposé à accueillir ce genre de passe-temps. Des éléments montrent que, bien avant le Hotrodding et le Stock car, l’automobile était un objet de loisir et d’intérêt chez les Québécois. Ainsi, dès 1906, on assista au premier salon de l’auto de Montréal qui était annoncé comme un divertissement et un événement sportif. En 1912, des clubs automobiles comme le tout jeune CAA organisaient des journées thématiques où, par exemple, des orphelins pouvait faire un tour de voiture  . Cela a certainement stimulé un intérêt précoce pour l’automobile au Québec. D’autre part, des photos datant de 1940  prises par le photographe Conrad Poirier, un des pionniers de la photographie journalistique québécoise  , montrent que des courses automobiles avaient déjà lieu au Québec  . On y voit des coureurs, principalement des garagistes et leurs équipes, utilisant des voitures bricolées à partir d’anciennes autos retirées de la circulation et souvent modifiées pour ressembler aux voitures de course de l’époque (Bugatti, Duesenberg et Cord). Leurs pilotes se disputaient la victoire les dimanches après-midi sur des pistes en terre battue munies de clôtures en bois pour séparer les spectateurs des automobiles. Comme nous le verrons, cette forme de mimétisme façonnera les années à venir de ces loisirs. Il faut voir ces évènements comme un préambule à ce qui suivra.

Le terme « mimétisme» est utilisé ici dans le contexte suivant. Le philosophe André Lalande affirme, dans Vocabulaire technique el critique de la philosophie volume l paru en 1932   que ce terme «se dit de toute fonne d’imitation»   . Selon lui, le mimétisme est « conscient et volontaire dans le développement de l’intelligence humaine»  . Plus récemment, des anthropologues et philosophes ont mené des recherches approfondissant cette définition. René Girard, anthropologue, historien et philosophe  , explique dans son livre Mensonge romantique et vérité romanes que que chaque homme désire être un autre en possédant ce que l’autre possède. Bien que cet ouvrage s’intéresse avant tout aux relations amoureuses, cette proposition peut être élargie pour inclure ce que ressentaient les acteurs de la première phase de l’arrivée du Hotrodding et du Stock car au Québec. En effet, au début, les passionnés d’automobile importaient un modèle au Québec en le copiant des Américains. Leur motivation était de faire ce que l’autre faisait, d’avoir ce que l’autre ava it. Cette définition peut être complétée par celle du psychologue Pierre-Marie Baudonnière qui, dans son livre intitulé: Le Mimétisme et l ‘imitation, décrivait ce phénomène comme étant: « à la base du processus d’humanisation et de l’avènement de la culture » ; le deuxième point s’applique aux amateurs de voitures québécois. Donc, lorsque nous parlerons de mimétisme dans ce mémoire, nous nous réfèrerons à la manière dont, consciemment ou non, les passionnés automobiles québécois ont repris et adapté, importé et copié ce qui se faisait aux États-Unis pour avoir leur part du rêve américain .

L’importation culturelle directe, quant à elle, se distingue du mimétisme par le fait que la source d’inspiration devient active et participante. Dans le cas qui nous intéresse, nous verrons que les organisations de Hotrodding et de Stock car américaines ont ouvert des annexes, voire pris le contrôle de se qui se passait au Québec pour étendre leur marché.

La culture automobile a été étudiée en profondeur par l ‘historien Cotten Sei 1er à partir de magazines, de journaux, de règlements et de discours datant du 20e siècle, dans son livre intitulé Republic of Drivers: A Cultural His/ory of Aulomobilily in America . En plus de démontrer que l’automobile a aidé plusieurs groupes marginalisés, dont la communauté noire, à s’émanciper, ce livre explore ce que Seller qualifie d ‘« aulomobility », « c’est à dire un moyen de transport, mais aussi l’attitude pleinement consciente des gens qui l’emploient » , selon sa propre définition. L’historien Étienne Faugier a repris ce concept sur le plan général de la culture nordaméricaine  . Ce concept d’« automobility » englobe beaucoup d’éléments, dont les règles de la route et leur respect par les usagers, les lois, la planification urbaine faite en fonction des voitures, la surveillance routière, etc. Seiler démontre à quel point le tàit de conduire est devenu important dans la société américaine, au point où celle-ci devient ce qu’il appelle « a republic of drivers »  dont les membres adhèrent aux règles de 1’« automobility ». Ne pas adhérer à ces règles, c’est se mettre en marge de cette société. Dans notre étude, nous verrons si les amateurs d’automobiles du Québec ont eu des démêlés avec le reste de la société, et s’ils furent, tout comme leurs confrères américains, accusés de ne pas respecter les règles, de ne pas adhérer à 1’« automobility ».

Bien que bon nombre de livres abordant l’automobile sous un angle culturel proviennent des États-Unis, certains chercheurs canadiens s’y sont intéressés. Dans sa thèse de doctorat The Car in Canadian Culture, 1898-1983   Dean Ruffilli explique que plusieurs Canadiens se sont mis à la course automobile dès les années 1910, d’abord de manière amateur, utilisant des bolides de fabrication artisanale sur des terrains vagues puis, quelques décennies plus tard, d’anciennes pistes d’aérodromes, et enfin sur des pistes de plus en plus professionnelles .

Dans une thèse de doctorat intitulée: L ‘économie de la vitesse : l’automobilisme et ses enjeux dans le département du Rhône et la région de Québec (l919-1961) , Étienne Faugier étudie de façon comparative les effets de l’arrivée de l’automobile, un objet qu’il qualifie de produit industriel urbain, dans les sociétés rurales française et québécoise. Son étude basée sur l’analyse de statistiques gouvernementales, revues spécialisées et périodiques français et québécois datant de 1919 à 1961 et de chiffres issus des organismes officiels (ministère des transports, des voiries) se focalise sur deux régions, soit le Rhône et la région de Québec. Faugier démontre que l’apparition de l’automobile a eu beaucoup plus de conséquences et des conséquences beaucoup plus complexes à la campagne qu’en ville. Il montre que les clubs automobiles sont apparus en même temps que l’automobile, c’est-à-dire entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle. Ces clubs prenaient part à de nombreux évènements et défendaient toutes sortes de causes. Faugier mentionne à titre d’ exemple le Club Féminin Automobile, fondé en 1915 par les femmes qui transportaient des blessés durant la Première Guerre mondiale .

Table des matières

INTRODUCTION
L’ automobile, un objet d’ histoire culturelle et d ‘histoire des mentalités
1943-1953: PREPONDERANCE DU MIMETISME ET DE LA REPRODUCTION SOCIALE CHEZ LES AMATEURS DE STOCK CAR ET DE HOT ROD QUEBECOIS
Le milieu automobile québécois avant l’arrivée du Stock car et du Hotrodding modernes
L’arrivée du Stock car au Québec, 1949- 1953 : le temps du mimétisme
Vers l’ arrivée des Américains et de leurs « annexes» au Québec
1953: les premiers Hotrodders québécois sur les traces des Américains, pour le meilleur et pour le pire
Les clubs comme organismes de régulation
1951-1961 : TRANSITION ENTRE MIMETISME ET IMPORTATION CULTURELLE DIRECTE
Le rôle des journalistes
Les années 1950: anglicisation des termes et apparition de la première association de stock car québécois
d’ envergure
La période de transition chez les Hotrodders, littérature et clubs 1955-196 1
De 1957 à 1961: l’ accélération de la transition du mimétisme vers l’importation culturelle directe dans le milieu du
Stock car ; les premières annexes
L’ arrivée des constructeurs automobiles : accélération de l’ américanisation de la pratique du Stock car québécois
Le Hotrodding québécois de plus en plus intégré au milieu nord-américain ; l’ arri vée des annexes
1961-1974: PREPONDERANCE DE L’IMPORTATION CULTURELLE DIRECTE ET DES ANNEXES AMERICAINES CHEZ LES AMATEURS DE STOCK CAR ET DE HOT ROD
Le Stock car québécois entre 1961 et 1963 ; entre nouveaux acquis et nouveaux problèmes
Le Hotrodding entre 1961 et 1964 ; les bénéfices réciproques de l’importation culturelle directe
1964-1974: les heures de gloire de la commercialisation du Stock car et ses dérivés extrêmes
Le Hotrodding et l’ère des muscle cars, les compagnies automobiles comme source d’influence et de structuration
des loisirs au québec
Hotrodding et Stock car au Québec durant les années 1960 : particularités et défis
Le Stock car et le Hotrodding à partir de 1970
CONCLUSION

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